Après-Coronavirus : nos vies et notre modèle de société risquent de ne plus être tout à fait les mêmes

Après-Coronavirus : nos vies et notre modèle de société risquent de ne plus être tout à fait les mêmes

08/04/2020 Non Par Arnaud Lefebvre

De nombreux experts évoquent les conséquences potentielles de la pandémie au sein de différents secteurs et pour notre modèle de société. Malgré les incertitudes et les doutes concernant l’avenir, plusieurs tendances et constats semblent d’ores et déjà apparaître et diverses pistes sont évoquées pour le monde de l’après-coronavirus.

Psychologie

Dans un premier temps, force est de reconnaître que le coronavirus et le confinement total dans plusieurs pays bouleversent la psychologie de la grande majorité d’entre nous.

Des situations antérieures, telles que la pandémie de grippe de 2009 et l’épidémie de Sars de 2003, suggèrent qu’une urgence de santé publique peut avoir des effets durables sur la psychologie d’une population, explique dans une chronique pour The Guardian, Steven Taylor, professeur et psychologue clinicien du Département de psychiatrie de l’Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver, auteur de l’ouvrage “The Psychology of Pandemics”.

L’anxiété face à notre propre mortalité, les peurs alimentées par un déluge d’articles en ligne (et de conspirations en tous genres) sont les effets psychologiques les plus évidents du coronavirus. Environ 10% des personnes touchées par des événements traumatisants développent de graves problèmes psychologiques tels que des troubles de l’humeur, des troubles anxieux ou des troubles de stress post-traumatique (TSPT). Ce pourcentage est considérablement plus élevé chez les personnes infectées par le virus. Toutefois, il est probable que même ceux qui ne sont pas infectés par le coronavirus développent également des symptômes psychologiques.

« L’isolement et le confinement, ne serait-ce que pendant quelques semaines, peuvent provoquer une anxiété durable. Les personnes placées en quarantaine pendant de longues périodes dans des logements exigus, partageant une chambre avec plusieurs occupants ou piégées à la maison dans une relation abusive ou coercitive, peuvent être particulièrement vulnérables au développement de symptômes de ces troubles pendant et après l’épidémie », explique Taylor.

Dans le cas de Covid-19, certains de ces effets sur la psychologie sont clairs, indique l’auteur. Ces répercussions trouvent leur origine dans le fait que de nombreuses personnes perdront leur emploi et connaîtront des difficultés financières. D’autres subiront la perte d’êtres chers. Certains d’entre nous verront leur mariage se dégrader ou leurs relations s’évanouir sous la pression du confinement et de la distanciation sociale.

Conséquences sociales et environnementales

D’autres effets psychologiques auront davantage à voir avec les changements environnementaux, sociaux et professionnels. Le coronavirus oblige les sociétés à expérimenter des modes de vie entièrement nouveaux. Les cours sont maintenant dispensés en ligne; les réunions de travail ont lieu sur Zoom. Nos achats sont livrés à domicile via des services en ligne tels qu’Amazon.

Dans un certain sens, nous avons la chance de vivre la première pandémie mondiale à l’ère numérique grâce à Internet, cet outil nous permettant de nous soustraire plus facilement au monde extérieur.

« L’épidémie renforce une direction dans laquelle la société se dirigeait déjà », explique Taylor. « Même avant l’épidémie, les personnes travaillaient déjà à domicile, faisaient leurs achats en ligne et se faisaient livrer de la nourriture, plutôt que d’aller au restaurant. Après le passage du coronavirus, nous pouvons affirmer que la vie ne reviendra pas totalement à la normale. Les personnes peu enclines à prendre des risques et connectées numériquement pourraient continuer à se retirer dans la sécurité de leur domicile. »

Par ailleurs, à la suite de Covid-19, certaines personnes deviendront des germophobes exigeants, s’efforçant d’éviter de toucher des surfaces « contaminées » ou de se serrer la main. Les phobies germinales, qui sont généralement des symptômes de troubles obsessionnels compulsifs, résultent d’une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux qui interagissent les uns avec les autres.

Emploi, automatisation, salaire universel et capitalisme

Les répercussions dans le domaine de l’emploi sont sombres. Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale estime qu’un total de 47 millions d’emplois pourraient être perdus.

En Afrique, selon une étude l’Union africaine (UA), ce sont 20 millions d’emplois qui passeraient à la trappe. Au plan international, les prévisions de l’Organisation internationale du travail font état d’une perte de 195 millions d’emplois au cours du deuxième trimestre de 2020.

Fin mars, l’OIT avait déjà indiqué que la crise sanitaire ayant débuté en Chine affectait maintenant toutes les économies mondiales.

« Il s’agit du plus grand test de coopération internationale depuis plus de 75 ans. Si un pays échoue, alors nous échouons tous. Nous devons trouver des solutions qui aident tous les segments de notre société mondiale, en particulier ceux qui sont les plus vulnérables ou les moins capables de s’aider eux-mêmes », a déclaré le directeur de l’OIT. Guy Rider.

Un autre changement provoqué par le confinement des travailleurs est le fait que la demande d’automatisation dans plusieurs industries est en nette augmentation. L’automatisation des postes et la robotisation étaient envisagées depuis quelques années par plusieurs experts comme une menace grave pour l’emploi provoquant des pertes potentielles au sein de nombreux secteurs. Selon un récent sondage du cabinet de conseil EY, près de la moitié des chefs d’entreprise dans 45 pays accélèrent les plans d’automatisation de leurs activités, les travailleurs étant contraints de rester chez eux pendant l’épidémie de coronavirus.

« Le coût humain est l’aspect le plus tragique de cette crise, non seulement en termes de vies perdues, mais aussi en termes de moyens de subsistance menacés », a déclaré Steve Krouskos du cabinet EY.

Face à ce constat, plusieurs Etats ont déclaré qu’ils soutiendraient leurs travailleurs. L’idée d’un salaire universel figure à nouveau au centre de nombreux débats et est préconisé par de nombreux politiciens.

Au Royaume-Uni, le gouvernement a déclaré qu’il garantirait 80% des salaires des travailleurs qui ne peuvent pas faire leur travail en raison de l’épidémie. En stand-by depuis la moitié du mois de mars, l’Espagne envisage l’instauration d’un salaire universel de 440 euros pour les personnes se retrouvant sans revenus à cause du coronavirus.

L’introduction d’un salaire universel est également discutée en Allemagne. Selon le quotidien Frankfurter Rundschau, un revenu universel de base mensuel de 1.000 euros devrait être instauré pour les catégories professionnelles les plus affectées et ce, pendant un semestre. Un revenu de base inconditionnel est une alternative pour l’avenir, estime. Donald Trump a également proposé l’application d’un revenu de base universel provisoire dans le cadre de son plan de relance.

Dans le domaine privé, certains entrepreneurs plaident également pour l’application d’un revenu de base universel. Par exemple, le fondateur et CEO de Twitter, a récemment déclaré qu’il ferait don d’un milliard de dollars d’actions de Square, son autre société. « Une fois que nous aurons désarmé cette pandémie, l’accent sera mis sur la santé, l’éducation des filles et le revenu universel », a annoncé le milliardaire.

D’autres grandes figures du secteur technologies telles que Elon Musk, Mark Zuckerberg et Richard Branson approuvent également l’idée d’un revenu universel.

Cependant, des voix discordantes avertissent que le concept de salaire universel de base ne nous aidera pas à surmonter la grave crise économique qui nous attend.

En mai de l’année dernière, Anna Coole, responsable de la politique sociale pour la New Economics Foundation, groupe de réflexion britannique qui promeut la justice sociale, économique et environnementale, avait expliqué dans une tribune pour The Guardian que ce concept ne fonctionnait pas et qu’il fallait plutôt dynamiser le secteur public.

« Ses partisans affirment que cela aiderait à réduire la pauvreté, à diminuer les inégalités et à lutter contre les effets de l’automatisation sur les emplois et les revenus. En fait, les projets de revenu universel testés dans la pratique sont presque infiniment variés, avec des salaires payés à différents niveaux et intervalles, généralement bien en dessous du seuil de pauvreté et principalement aux individus sélectionnés parce qu’ils sont gravement défavorisés, via des fonds fournis par des organisations caritatives, des sociétés et des agences de développement, plus souvent que par les gouvernements. Mais rien n’est révélé sur leur viabilité à plus long terme, ni sur la manière dont ils pourraient être étendus pour servir des populations entières. Rien n’indique qu’un tel système partiel ou conditionnel pourrait faire quoi que ce soit pour atténuer, et encore moins inverser, les tendances actuelles à l’aggravation de la pauvreté, des inégalités et de l’insécurité du travail. Si ces paiements sont autorisés, il y a un risque sérieux d’évincer les efforts pour construire des services et des infrastructures collaboratifs et durables – et de définir un modèle de développement futur qui favorise la marchandisation plutôt que l’émancipation. Cela peut aider à expliquer pourquoi cette idée a reçu le soutien des magnats de la Silicon Valley, qui sont plus intéressés par la défense du capitalisme de consommation que par la lutte contre la pauvreté et les inégalités. »

« Si nous suivons le manuel économique orthodoxe maintenant, tout comme après 2008, une fois la crise sanitaire terminée, les élites politiques demanderont plus d’austérité – des coupes dans les soins de santé, des baisses de salaires et des hausses d’impôts pour les personnes ordinaires afin de réduire les dépenses publiques et d’éroder le tas de dettes. C’est la logique du marché libre, mais beaucoup de personne considèreront que c’est de de la folie », explique Paul Watson, journaliste et professeur de l’université de Wolverhampton au Royaume-Uni

Au 14ème siècle, une fois l’épidémie de peste noire terminée, c’est exactement ce que les élites féodales ont tenté de faire : réimposer leurs anciens privilèges et traditions et logique économique – à une population qui venait de vivre l’événement le plus traumatisant imaginable.

À l’époque, cela a conduit à des révoltes immédiates et sanglantes suite à la restauration des privilèges.

« Pour comprendre ce que nous devons faire aujourd’hui, nous avons besoin d’un cadre plus large que celui qui existe dans l’esprit de la plupart des politiciens. Pour eux, le COVID-19 et les crises climatiques ressemblent à des astéroïdes frappant une planète : des chocs externes nécessitant une réponse temporaire et réversible. En fait, ce sont des chocs générés par le « capitalisme planétaire » lui-même – ou du moins sous la forme où nous l’avons adoptée. »

Climat

Avec l’émergence de la pandémie, une diminution drastique des émissions de CO2 a été constatée suite à l’arrêt total ou partiel de l’économie de nombreux pays.

« Le maintien ou non de la réduction actuelle du CO2 dépendra de qui pourra reconstruire la société après le virus. Mais la réduction ne sera pas annulée. Tout comme les émissions de carbone persistent suffisamment longtemps dans la haute atmosphère de la Terre pour agir en tant qu’agents permanents du changement climatique sur la durée de vie d’un individu, les émissions de carbone évitées constituent un baume permanent », expliquent sur The Intercept, Charles Komanoff, directeur du Carbon Tax Center, et Christopher Ketcham, auteur de l’ouvrage « This Land: How Cowboys, Capitalism, and Corruption are Ruining the American West ».

Selon les auteurs, il existe plusieurs bouleversements identifiables de la conscience sociale provoqués par une pandémie qui devraient nous donner l’espoir d’instaurer les transformations nécessaires pour que la civilisation ne commette pas un suicide climatique collectif.

Suite à la crise sanitaire, le prestige et la valeur de la science pourraient être restaurés. « Nous savons que c’est la communauté des médecins, infirmières et agents de santé de première ligne qui soignera les malades, que ce sont les épidémiologistes et journalistes scientifiques qui informeront le public et les chimistes, biologistes et statisticiens formés qui synthétiseront et trouveront les vaccins qui mettront fin à la pandémie. »

La crise nous aide en outre à voir à quel point notre bien-être dépend d’une gouvernance proactive. « Le gouvernement du peuple et pour le peuple est littéralement la chose dont nous avons plus que jamais besoin », avancent les deux spécialistes. 

Enfin, il est possible que nous nous débarrassions du défaitisme selon lequel rien ne peut être fait rapidement, estiment encore les deux auteurs. « Si notre société peut enfin agir pour fabriquer un million de ventilateurs et un milliard de masques de protection, nous pourrons sûrement d’ici quelques années agir à bien plus grande échelle pour ériger, disons, un million d’éoliennes, isoler et solariser cent millions bâtiments. »

Surveillance des populations

Un autre effet secondaire alarmant de la lutte mondiale contre le nouveau coronavirus consiste en une augmentation massive des outils de surveillance de la population. Tous les gouvernements instaurent de nouvelles mesures de surveillance et de contrôle.

Partout dans le monde, les gouvernements mettent en place de nouvelles mesures de surveillance afin de garder le virus sous contrôle. Les autorités cherchent à savoir où les personnes se trouvent et si elles ont été infectées par le COVID-19.

« Le suivi des contacts et l’enregistrement de la proximité entre des personnes via des données Bluetooth, WiFi ou GPS, aident à informer les personnes qu’elles ont déjà été en contact avec quelqu’un qui ayant contracté le coronavirus et qu’elles devraient s’auto-isoler”, a récemment déclaré le Computational Privacy Group de l’Imperial College London. “Tout en étant potentiellement très efficace, cette méthode permet également de collecter une très grande quantité de données sensibles. »

« La pandémie de COVID-19 est une urgence de santé publique de portée internationale qui requiert une réponse coordonnée et de grande ampleur de la part des gouvernements du monde entier. Cependant, les initiatives des États visant à contenir le virus ne doivent pas servir de prétexte à entrer dans une nouvelle ère de systèmes généralisés de surveillance numérique invasive », expliquait, il y a quelques jours, Amnesty International.

« La technologie peut et doit jouer un rôle important durant cette mobilisation pour sauver des vies, par exemple pour diffuser des messages de santé publique et accroître l’accès aux soins de santé. Toutefois, le renforcement du pouvoir des États en matière de surveillance numérique, comme le fait d’obtenir l’accès aux données de localisations des téléphones portables, menace la vie privée, la liberté d’expression et la liberté d’association, ce qui pourrait bafouer les droits et saper la confiance dans les pouvoirs publics – compromettant ainsi l’efficacité de toute réponse de santé publique. De telles mesures comportent également un risque de discrimination et sont susceptibles de porter préjudice de manière disproportionnée à des populations déjà marginalisées. »

Le coronavirus oblige les sociétés à tester des modes de vie entièrement nouveaux

« Les nombreuses personnes qui se sont portées volontaires pour aider les autres pendant la pandémie pourraient avoir un nouvel objectif et un nouveau sens dans leur vie. Et celles qui s’adaptent le mieux à l’auto-isolement et à la distanciation sociale – c’est-à-dire les personnes ouvertes à de nouvelles expériences, optimistes et émotionnellement stables – sont davantage susceptibles de bien s’en sortir pendant et après la pandémie. Tout le monde ne possède pas ces caractéristiques, mais les personnes peuvent améliorer leur résilience en apprenant de nouvelles stratégies d’adaptation », précise le psychologue clinicien Steven Taylor.

Au niveau sociétal, le confinement pourrait être une transition vers de nouveaux modes de vie, avance dans un excellent article sur The Conversation, Fanny Parise, anthropologue de l’Université de Lausanne.

Selon la chercheuse, bien que la plupart des personnes interrogées déclarent, pour le moment, bien vivre le confinement, près de la moitié aspirent à changer de vie après cette crise qui, pour 38% représente la fin de notre modèle de société et le premier effondrement de notre civilisation (46%).

« La crise du Covid-19 questionne l’évolution de nos modes de vie et d’habiter (notre foyer, notre ville, notre monde), ainsi que notre capacité à penser l’incertain afin de se projeter dans d’autres futurs possibles, et ce dès à présent : enjeux liés à la liberté de déplacement, à l’individualisation , ou encore au clivage entre l’ultra-connectivité et les relations de proximité. En définitive, il semble que le confinement entrevu comme période de transition participe à la création de nouveaux récits collectifs pour donner du sens à ce que nous sommes en train de vivre. »

« Si la pandémie peste noire du 14ème siècle a déclenché une imagination post-féodale, il est possible – et souhaitable – que celle-ci déclenche un monde post-capitaliste », conclut Paul Watson.