L’OMS et le conseil scientifique à l’épreuve du conditionnel présent

L’OMS et le conseil scientifique à l’épreuve du conditionnel présent

28/05/2020 Non Par Jean-Philippe Muret

La parole scientifique et médicale a été mise à l’honneur durant la crise du coronavirus. Elle correspond à des standards rationnels censés éclairer les décideurs et l’opinion publique. Deux exemples récents viennent pourtant illustrer la complexité de la communication de santé publique.

Que veulent vraiment dire l’OMS et le Conseil scientifique ?
Le 17 avril, le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, affirmait lors d’une audition parlementaire qu’à ce stade de la pandémie, la science n’était pas en mesure de savoir si une personne contaminée par le coronavirus était ensuite vraiment immunisée. Les titres de presse relatant cette audition se sont presque tous focalisés sur ce point. L’article de CNews, notamment, était titré : « Une personne contaminée par le coronavirus pourrait ne pas être immunisée, selon le président du conseil scientifique. » Cet article a rencontré un formidable écho : nombreuses reprises dans la presse en ligne et multiples partages sur les réseaux sociaux.

Le 14 mai, c’est l’OMS qui déclarait (lors d’une conférence de presse), que la pandémie « pourrait ne jamais disparaître ». La citation était reprise, en titre, par de nombreux articles de presse, comme par exemple RTL : « Coronavirus : la Covid-19 pourrait « ne jamais disparaître », prévient l’OMS ». Cette citation (via les articles la reprenant), a elle aussi contribué à alimenter des millions de partages.
Dans les deux cas, on le note, le temps utilisé est le conditionnel présent : « pourrait ». Le conditionnel est ici employé par les scientifiques eux-mêmes : il ne s’agit pas d’un conditionnel de précaution journalistique (relayant les rumeurs politiques par exemple). Or, le conditionnel est un temps porteur de multiples facettes, surtout en français.

Pour les puristes, le conditionnel présent n’est d’ailleurs qu’un « soi-disant » conditionnel, puisque sa forme est au fond celle d’un futur du passé (ce qui dit déjà les intrications temporelles qu’il porte). Plus prosaïquement, le conditionnel peut porter des valeurs très diverses, par exemple sur des faits soumis à une condition (« si tu venais, je serais content »), des faits imaginaires (« moi je serais le policier et toi tu serais le voleur »), des faits hypothétiques (« le sous-sol de cette région recèlerait du pétrole »).

Conditionnel : le temps de l’incertitude et des hypothèses

De son côté, le verbe « pouvoir » est déjà porteur d’une virtualité : « cela se peut », c’est possible. Pensons par exemple aux nombreuses couvertures de presse indiquant que la maladie « peut » tuer les moins de 15 ans. Mais le peut-elle vraiment de la même façon qu’elle peut tuer les plus de 80 ans, ou s’agit-il juste d’indiquer une éventualité, une virtualité, une exception impossible à écarter complètement ? Même si l’on comprend l’intérêt pour les autorités sanitaires de faire planer cette virtualité, force est de constater qu’elle a été mésinterprétée par de nombreuses personnes, pour lesquelles remettre leurs enfants à l’école, du coup, va sembler bien difficile.

Dès lors, que nous disent les médecins ou les experts lorsqu’ils nous disent que l’épidémie « pourrait » prendre ou telle forme ? Nous informent-t-ils d’une découverte qui leur laisse à penser quelque chose de fondé (comme l’analyste dit que le pont « pourrait » s’écrouer parce qu’il a repéré des fissures et des fragilités) ? S’agit-il d’une pure virtualité (« untel pourrait gagner au Loto ») ? Ou bien encore une hypothèse simplement impossible à écarter en l’état des connaissances, bien qu’improbable (« le virus pourrait rebondir demain matin sous une forme 1000 fois plus mortelle ») ?

Une personne déjà malade pourrait ne pas être immunisée, et le virus pourrait ne jamais disparaître. Une personne malade pourrait être immunisée même pour les formes futures de la maladie, et le virus disparaître cet été sans jamais revenir. C’est deux phrases sont également vraies.

Une personne déjà malade pourrait ne pas être immunisée, et le virus pourrait ne jamais disparaître. Le relais de ces deux informations a été particulièrement fort sur Twitter et Facebook, avec des millions de partage et de commentaires. Disons-le clairement : une tentative de déstabilisation russe ou chinoise aurait eu toutes les peines du monde à obtenir un tel impact sur notre opinion publique. Un impact potentiellement dévastateur, puisque mises côte à côté, ces deux affirmations ont contribué à un narratif extrêmement anxiogène, pour tous ceux qui ont entendu ce « pourrait » comme une menace crédible, comme l’avertissement de scientifiques ayant des indices à leur disposition.

Dès lors, comment les responsables scientifiques et la presse, auraient-ils pu, ou du, s’y prendre ? Il est clair que les modalisations de type hypothétiques sont à éviter, notamment dans les titres d’articles, dont on sait qu’ils sont le carburant principal des partages sur les réseaux sociaux. L’emploi du conditionnel laisse ouvertes trop de potentialités d’interprétations. Si un journal de référence titrait : « Macron pourrait démissionner demain matin », en expliquant dans le corps du texte que c’est une possibilité constitutionnelle réelle, et donc que rien ne s’y oppose, mais qu’il n’y a aucun indice qu’il en ait la moindre intention, la phrase serait techniquement, juridiquement, et factuellement vraie. Elle n’en serait pas moins trompeuse.

En santé publique, a fortiori, toutes les hypothèses ne sont pas des informations à relayer telles qu’elles. En tout cas, pas celle qui font simplement état d’une absence de connaissance ou de certitude.