Notre impitoyable recherche du profit n’épargnera pas notre planète

Notre impitoyable recherche du profit n’épargnera pas notre planète

25/03/2021 Non Par Arnaud Lefebvre

Il y a 50 ans, certaines compagnies pétrolières étaient déjà au courant des dégâts considérables qu’elles causaient.

Des documents consultés par The Guardian révèlent que l’industrie pétrolière des Etats-Unis et du Canada sait, depuis au moins un demi-siècle, que la pollution causée par les combustibles fossiles constitue une grave menace pour l’environnement et pour la santé humaine.

Risque pour la santé humaine

Le capitalisme est sur une trajectoire qui se heurte à la vie humaine et à l’avenir de notre planète. Chaque année, la pollution de l’air tue plus que le tabagisme : 8,8 millions de morts dans le monde, contre 7 millions pour l’industrie du tabac.

À la fin des années 1960, des documents internes de Shell mettaient déjà en garde contre le fait que « la pollution de l’air pouvait, dans des situations extrêmes, être nocive pour la santé. »

En 1980, la compagnie Imperial Oil, filiale canadienne de la société ExxonMobil, prévoyait déjà d’enquêter sur les incidences de cancers et de malformations congénitales constatées parmi les descendants des travailleurs de l’industrie. Parallèlement, les experts d’Esso évoquaient la possibilité d’améliorer le contrôle des particules lors des nouvelles conceptions de véhicules afin de réduire les émissions de pollution nocive.

Et pourtant, l’industrie pétrolière a continué à activement faire pression sur les réglementations sur la qualité de l’air proposées afin de protéger la santé humaine et de sauver des vies, rapporte le journal.

Comportement rationnel

« Cette attitude peut provoquer notre révulsion morale. Toutefois, il s’agit d’un comportement parfaitement rationnel. Un système économique basé sur l’accumulation de bénéfices dévalorisera toutes les autres considérations, y compris le caractere sacré de la vie humaine », écrit Owen Jones, chroniqueur du Guardian et auteur de « Chavs : The Demonization of the Working Class », essai politique traitant des stéréotypes sur la classe ouvrière britannique.

« Il n’existe aucune incitation économique pour une entreprise de combustibles fossiles à soutenir volontairement des mesures qui minimisent les effets néfastes de leur recherche incessante de profit, bien au contraire.»

Owen cite l’exemple de l’industrie de la viande, autre produit ayant un impact néfaste sur l’environnement et la santé humaine. D’une part, la consommation de viande transformée et de viande rouge est nocive pour la santé. D’autre part, la production massive de viande et de produits laitiers équivaut à 14,5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

« Cependant, une alimentation plus saine et des émissions réduites en raison d’une consommation de viande plus faible ne correspondraient pas au désir de l’industrie de la viande de maximiser ses profits », explique Owen.

En 2014, ce secteur a dépensé environ 10,8 millions de dollars en dons de campagne. 6,9 millions de dollars supplémentaires ont servi à faire pression sur le gouvernement fédéral des États-Unis. Cet investissement a porté ses fruits : en 2015, les départements américains de l’agriculture et de la santé et des services sociaux ont déclaré que la durabilité ne serait pas considérée comme un facteur dans leurs directives diététiques phares.

Pays occidentaux

Dans les pays occidentaux, les systèmes économiques capitalistes vont de pair avec les systèmes politiquement démocratiques. En théorie, ces systèmes consistuent un frein et un contrepoids aux intérêts des entreprises.

Cependant, en réalité, il existe souvent une corrélation directe entre l’influence politique et le pouvoir économique, explique le chroniqueur. Une étude réalisée en 2014 par des universitaires américains a conclu que les États-Unis étaient une oligarchie plutôt qu’une démocratie. Selon cette étude, « les élites économiques et les groupes organisés représentant des intérêts commerciaux ont des impacts indépendants substantiels sur la politique du gouvernement américain, tandis que les citoyens moyens et les groupes d’intérêts de masse ont peu ou pas influence indépendante ».

En d’autres termes, des groupes d’intérêts riches organisés – comme les entreprises de combustibles fossiles – ont un impact significatif sur l’élaboration de la politique gouvernemental, explique Owen.

Entrave à la lutte contre le changement climatique

Au cours des trois années qui ont suivi l’accord de Paris, les cinq plus grandes sociétés pétrolières et gazières cotées en bourse ont dépensé près de 200 millions de dollars par an pour faire du lobbying afin de retarder, contrôler ou bloquer les politiques de lutte contre le changement climatique.

Les entreprises de combustibles fossiles comprennent la nécessité de signaler leurs références écologiques à une époque où le public est de plus en plus conscient de la crise climatique. Toutefois, elles sont accusées de « greenwashing » ou écoblanchiment par les militants.

« Les dirigeants et les actionnaires préserveront et augmenteront leur richesse. Ils les transmettront à travers les générations à leurs enfants fortunés, en leur donnant les moyens financiers de se protéger des conséquences de la crise climatique provoquée par leurs ancêtres. La planète et le reste d’entre nous n’aurons pas cette chance. À moins que nous ne soyons en mesure de ramener les températures mondiales en dessous d’une augmentation de 1,5 ° C par rapport à leurs niveaux préindustriels d’ici 2030, nous subirons des conséquences encore plus graves », estime Owen.

« L’urgence climatique croissante représente une menace croissante pour l’eau et la sécurité alimentaire, pour les écosystèmes déstabilisés et pour les millions de personnes chassées de leurs foyers, pour être probablement diabolisées en tant que réfugiés et migrants par les pays riches les plus responsables des émissions. »

Caractéristique du capitalisme

Selon un rapport de 2017, les 100 premières entreprises mondiales sont responsables de 71% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Par contre, la moitié la plus pauvre de l’humanité n’est responsable que de 10% des émissions mondiales. Pourtant, ce sera le sud de la planète qui paiera le prix le plus lourd.

« Ce n’est pas un bug du capitalisme : c’est une caractéristique centrale. La recherche impitoyable du profit – et un système économique qui permet la capture de nos systèmes politiques par des sociétés multinationales aux poches infinies – représente une menace fatale pour notre santé, nos vies et notre planète. Sans un effort déterminé pour repousser le pouvoir politique de ces titans corporatifs – ce qui signifie remettre en question les fondements mêmes de notre système économique – notre planète continuera de périr. Le temps ne joue pas en notre faveur », conclut le chroniqueur.