Pourquoi les générateurs d’images IA sont le contraire de l’art

Pourquoi les générateurs d’images IA sont le contraire de l’art

23/01/2023 Non Par Arnaud Lefebvre

Les générateurs artistiques d’IA sont un moyen amusant de faire preuve de créativité. Toutefois, dans le quotidien britannique The Guardian, plusieurs artistes s’inquiètent des implications éthiques de ces programmes.

Omniprésence des générateurs d’images IA

De nos jours, les générateurs d’images IA permettent de créer en quelques clics des illustrations de premier ordre. Et ce, peu importe vos compétence artistiques.

Ces outils sont désormais partout. On les trouve par exemple sur TikTok où un filtre AI Manga permet aux utilisateurs de découvrir à quoi ils ressembleraient dans ce style de BD japonais. Dorénavant, le public utilise en masse ces générateurs d’images IA pour créer des images pour tous les domaines : des logos d’entreprise aux livres illustrés.

Parmi les plus grands acteurs de l’IA artistique, on trouve des sociétés telles que MidJourney, Stable Diffusion et Deep Dream Generator (DDG). Leurs outils sont libres d’utilisation jusqu’à un certain point. Par conséquent, ces générateurs d’IA artistique attirent les utilisateurs.

En effet, force est de constater que ces outils sont divertissants. Toutefois, un examen plus approfondi des images produites montre qu’ils génèrent également des bizarreries. Les visages créés ont souvent des traits étranges. Par ailleurs, les images ont également une esthétique souvent similaire, légèrement kitsch.

Comme l’explique la chroniqueuse Sarah Shaffi, il faut reconnaître que bien qu’on ait un frisson initial à voir une image apparaître grâce à ces outils, il n’y a pas vraiment de satisfaction créative avec leur utilisation.

Les implications de l’utilisation des générateurs d’images IA

Les implications de la génération d’images par IA sont considérables, estiment divers artistes. Celles-ci pourraient avoir un impact sur tout le champ artistique ; des films aux romans graphiques et bien plus encore.

D’autre part, des illustrateurs ont également fait part de leurs craintes concernant l’utilisation de cette technologie sur les réseaux sociaux. C’est notamment le cas de Rob Biddulph, auteur et illustrateur britannique pour enfants.

Pour Biddulph, l’art généré par intelligence artificielle est à l’opposé de sa conception de l’art.

« Fondamentalement, j’ai toujours pensé que l’art consistait à traduire quelque chose de ressenti intérieurement en quelque chose existant extérieurement. Quelle que soit sa forme, qu’il s’agisse d’une sculpture, d’un morceau de musique, d’un écrit, d’une performance ou d’une image, l’art véritable concerne le processus de création bien plus que l’œuvre finale. Et le simple fait d’actionner un bouton pour générer une image n’est pas un processus créatif », explique-t-il dans The Guardian.

L’art créé IA, droit d’auteur et propriété intellectuelle

Outre la créativité, l’usage de ces outils IA comporte des problèmes plus profonds. Lors d’une campagne intitulée #NotoAIArt, plusieurs artistes ont partagé leurs inquiétudes quant à la légalité des générateurs d’images IA et à la manière dont ils ont le potentiel de dévaluer la compétence d’une illustration.

Pour créer des images à partir d’« invites » (en IA, une « invite » est un message visuel ou sonore sollicitant l’opinion ou l’action de l’opérateur, ndlr), les générateurs d’IA s’appuient sur des bases de données d’art et de textes existantes. Ces bases englobent des milliards d’images extraites d’Internet.

Parmi les bases de données les plus importantes, on trouve la base de données open source LAION-5B, utilisée par Text 2 Dream de DDG. Selon Kaloyan Chernev, fondateur de DDG, l’ensemble des données incluent majoritairement des images du domaine public provenant d’Internet. Cependant, selon de nombreux artistes et illustrateurs, elles comprennent également des clichés protégés par le droit d’auteur.

Selon Harry Woodgate, auteur et illustrateur de Grandad’s Camper, ouvrage ayant remporté le prix du livre d’images Waterstones 2022, ces programmes reposent entièrement sur la propriété intellectuelle piratée d’innombrables artistes, photographes, illustrateurs et autres titulaires de droits.

Cet avis est partagé par l’illustratrice Anoosha Syed.

« L’IA ne regarde pas l’art et ne crée pas le sien. L’IA échantillonne l’art de tout le monde puis l’écrase dans quelque chose d’autre. »

Implications éthiques et illégalité

Bien que les invites faites aux générateurs d’images puissent être très générales, il se peut qu’une image soit basée sur le travail d’un autre artiste. Cela brouille les frontières éthiques. Cela pourrait conduire à la création d’images intentionnellement destinées à imiter le style d’un artiste sans son consentement.

À l’instar des humains, les générateurs d’images IA sont influencés par le travail d’autrui. Toutefois, un artiste humain ajoute également une touche d’émotion, de la nuance et de la mémoire dans son mélange.

Syed explique qu’un autre être humain ne regardera jamais une image exactement de la même manière que l’artiste original l’a fait.

L’IA ne fait pas la même chose ; elle ne peut que copier. Lorsqu’un artiste humain imite un style ou fait passer une œuvre d’art pour la sienne, cela est incroyablement mal vu. Cela peut être considéré comme une violation du droit d’auteur. « C’est essentiellement ce que fait l’art de l’IA », affirme Syed.

Chernev admet qu’il existe des considérations éthiques complexes entourant l’utilisation d’images non publiques et l’impact potentiel sur les artistes dont le travail est utilisé dans la formation d’outils IA.

Cependant, il existe un danger plus insidieux : la possibilité de créer des images potentiellement illégales. Ainsi, Chernev reconnaît que lors du lancement initial de Text 2 Dream, certains utilisateurs ont essayé de générer des images d’enfants nus, malgré le fait qu’aucune image de ce type n’était présente dans les données de formation.

« Au fur et à mesure que l’IA progresse, il y a un risque qu’elle soit capable de synthétiser des images de sujets illégaux sur la base de contenus existants. En réponse à cela, nous avons rapidement adapté nos outils pour interdire la génération de contenu inapproprié ou illégal, y compris des images nues d’enfants et du matériel NSFW

Manque de réglementation

Toute une génération d’images IA ne fait l’objet d’aucune réglementation. Une première étape bienvenue serait de supprimer l’exception au droit d’auteur proposée par le gouvernement britannique, explique Harry Woodgate. En France, la protection du droit d’auteur ne s’applique pas non plus aux créations générées spontanément par une intelligence artificielle, précise l’avocate Betty Jeulin sur village-justice.com. Selon Woodgate, il faudrait plaider à la place pour des modeles basés sur des licences opt-in.

De cette façon, toutes les futures bases de données seraient créées à l’aide de contributions volontaires correctement payées, ajoute l’illustrateur britannique. « La chose la plus simple est d’obtenir les autorisations des artistes pour utiliser leur travail avec des frais », déclare l’illustrateur anglo-nigérian Dapo Adeola.

Bien que l’illustration de livres pour enfants restera, selon les artistes, largement inchangée, la génération d’images par IA a le potentiel de supprimer les petits travaux sur lesquels les artistes émergents comptent souvent pour constituer des portefeuilles.

Selon Syed, les gens peuvent se tourner vers l’IA pour des choses telles que le fan-art, les livres auto-publiés, les logos et les portraits de famille.

« Ces clients se soucient généralement plus des économies d’argent que de la qualité du produit fini. Ils préféreront utiliser l’IA si cela signifie maintenir les coûts bas. Donc beaucoup de ces petits boulots vont disparaître », explique-t-elle.

Générateurs d’images IA et dévalorisation du travail des artistes

Selon Adeola, l’utilisation croissante de l’IA conduira également à une dévalorisation du travail des artistes.

« Pour moi, il y a déjà un biais négatif envers l’industrie créative. Quelque chose comme ça renforce l’argument selon lequel ce que nous faisons est facile et nous ne devrions pas être en mesure de gagner l’argent pour cela. »

« Il ne fait aucun doute que l’art généré par l’IA dévalorise l’illustration », affirme Biddulph. « Les personnes vont bien entendu commencer à penser que leur « travail » vaut celui de quelqu’un ayant passé une carrière à faire de l’art. C’est un non-sens, bien sûr. Je peux utiliser mon iPhone pour prendre une belle photo de mes filles, mais je ne suis pas le photographe de mode Irving Penn. »

Le futur de la génération d’images par IA

Pour le moment, les utilisateurs ont recours à la génération d’images par IA pour le plaisir. Cependant,  elle se rapproche rapidement d’un niveau de sophistication et de complexité qui lui permettra de générer des images très réalistes et nuancées, affirme Chernev.

« Je pense que le contenu artistique par IA a le potentiel non seulement d’améliorer le travail des artistes et des designers, mais aussi de permettre la création de formes d’art et d’expression entièrement nouvelles. »

Les artistes et les illustrateurs sont loin de penser de même. « L’art généré par l’IA a un look « spécifique », explique Syed.

« Au fil du temps, les utilisateurs deviendront plus attentifs et commenceront à s’en détourner en raison de son manque d’authenticité et de son côté « bon marché ». Je pense aussi qu’en réponse à l’IA, nous pourrions même voir une réémergence et une appréciation des médias traditionnels. »

De plus, les illustrateurs croient fermement que leurs critiques les plus honnêtes et leurs plus grands fans (la jeunesse) n’accrocheront pas à l’art de l’IA. « Les livres pour enfants sont des formes de communication multimodales très complexes », explique Woodgate. « Les enfants qui les lisent attendent beaucoup, non seulement des histoires et des illustrations, mais également des auteurs illustrateurs. »