Le confinement : une faute politique et morale

Le confinement : une faute politique et morale

12/04/2020 Non Par Jean-Philippe Muret

Secrètement honteux de notre couardise collective face au coronavirus, nous tentons de maquiller la plus grande humiliation collective que l’Occident ait connu en moment de bravoure altruiste. En acquiesçant au confinement généralisé, faisant mine de croire que nous « protégeons les autres » en agissant ainsi (alors que nous avons juste peur), nous sommes non seulement en train d’abaisser tous les standards de libertés civiles et d’Etat de droit, mais en plus de plonger des millions de personnes dans une profonde pauvreté qui sera fatale à nombre d’entre eux. Un recul sans précédent qui ne sera probablement pas sans lendemains qui déchantent.

Il y a quelques semaines encore, le monde occidental commentait les mesures prises en Chine face à l’épidémie de coronavirus, en indiquant que les solutions appliquées « là-bas » (au premier rang desquelles le confinement strict), ne sauraient l’être dans les démocraties libérales. Nos valeurs démocratiques, nos institutions, notre état de droit, notre attachement collectif aux libertés civiles rendaient inimaginables le recours à des procédés que seuls des régimes autoritaires, voire dictatoriaux, pouvaient envisager. Quelques semaines plus tard, les grandes démocraties occidentales ont décrété un confinement généralisé, quasi-militarisé dans de nombreux endroits, et dont seuls les services essentiels sont exemptés.

On aimerait pouvoir croire que les pays riches ont accepté de saborder leur économie, et de restreindre drastiquement leurs libertés publiques, pour protéger la santé de leurs anciens, puisque les personnes âgées de plus de 70 ans semblent les premières victimes de la maladie. Ce serait même rassurant : enfin l’humain primerait sur l’économique, nous murmurent les éditorialistes patentés. Mais il n’en est rien. Comme l’ont fait remarquer de nombreux analystes, la crise est bien plutôt l’occasion de réaliser que, pendant que nous parlions de la condition des actrices américaines face au pouvoir de producteurs lubriques (sujet à ne pas confondre avec la condition des femmes au travail), ou de savoir si le fait d’avoir une barbe suffisait à qualifier quelqu’un « d’homme », nos personnes âgées étaient relégués dans des mouroirs quasi concentrationnaire où ils n’étaient pas mieux traités qu’une actrice en quête de son premier Oscar, ou qu’une minorité visible subissant une énième « micro agression ».

En réalité, l’acquiescement massif au confinement (et demain, aux différentes formes de tracking qui arrivent, par applications mobiles ou drones) n’a pour seul appui que la peur. Par le martèlement médiatique, chacun en est venu à croire qu’Ebola rodait à nos portes. L’accumulation quotidienne de chiffres et d’images a généré un sentiment d’hébétude, et fait de cette simple épidémie de « super grippe », un fléau égal à la peste. Le coronavirus aura donc confirmé de façon éclatante que, lorsque les gens ont peur, ils sont prêts à échanger leur liberté (voire leur dignité) contre un peu de sécurité, fut-elle illusoire. L’envie de pénal, dont parlait Philippe Muray.

Imaginons un instant que les médias consacrent jour après jour leurs émissions aux quelques 22 000 morts quotidiens du tabac dans le monde, 365 jours sur 365, depuis des décennies (73 000 par an pour la France seule, 8 millions par an à l’échelle du monde). Interdire le tabac serait il une entorse plus grande à nos libertés publiques que de confiner à domicile 67 millions d’individus libres, n’ayant commis aucun crime ? Ou sont aujourd’hui les juges des libertés (ces magistrats chargés de s’assurer que les peines de prison sont adaptées dans le cas des criminels, et qui garantissent les droits fondamentaux des voleurs, violeurs et assassins) ?

En réalité, le confinement tel qu’il s’est déroulé est une étape gravissime dans le cheminement progressif des démocraties vers des régimes de type « autoritaire-gentil » : pour notre bien. Sommes-nous des enfants pour, qu’en France, ces mesures soient en plus appliquées avec une dimension policière particulièrement tatillonne ? On rougira un jour, face à nos enfants, d’avoir accepté d’imprimer un formulaire d’autorisation pour aller faire nos courses en ville ou visiter le médecin. Si une épidémie nous met en danger, n’est-ce pas à nous d’adapter notre comportement selon notre appréciation du risque ? Lors des épidémies de grippe, nous sommes déjà des millions à nous vacciner et à appliquer des mesures barrières de bon sens, sans avoir besoin de Big Mother pour nous tenir la main.

Enfin, le confinement s’avèrera une faute éthique à l’égard du reste de la planète. Dans ce délire de riches ultra sécurisés qui n’acceptent plus la virtualité de la mort (au seul prétexte que les télés en continu ont décidé de la lui montrer pendant quelques semaines), nous avons entrainé l’économie de chacun de nos pays au fond du gouffre, et les autres avec nous. Oxfam nous apprend que 500 millions de personnes vont retomber, probablement pour de nombreuses années, dans la grande pauvreté.  Ce chiffre abstrait signifie que des centaines de milliers de personnes vont mourir, chaque année, dans les décennies à venir, par manque de soins, par manque d’accès à une eau de qualité, de malnutrition, et plus tard, des conflits armés que ces conditions ne manqueront pas de générer. Parce que l’Occident a « bad tripé » sur une épidémie de grippe, les pays pauvres vont payer les pots cassés. Et les pauvres des pays riches aussi, d’ailleurs.

S’agissant initialement d’une épidémie régionale touchant la Chine, il semblait raisonnable de couper tous liens avec cette zone, et de restreindre fortement les arrivées de zones à risque, surtout par avion. C’est une mesure de « barrière sociale » logique, recommandée par tous les documents de prospective (et jusqu’au Livre blanc de la Défense français). Mais on objecta alors que le virus n’avait « pas de passeport » (sans que l’on comprenne ce que cette phrase voulait dire). Il a été régularisé depuis, semble-t-il, puisque de telles mesures sont prises finalement. Trois mois trop tard, et alors que le virus circule déjà dans nos frontières… Le « replis nationaliste » arrive à contretemps, toute honte bue d’ailleurs, puisqu’on le présentait lui aussi, il y a quelques semaines, comme un recul dramatique de nos « valeurs européennes ».

S’agissant d’une maladie qui tue à près de 80 % des personnes de plus de 65 ans, il semblait raisonnable ensuite de renforcer considérablement les moyens des Ephad (mais qui se soucie de ces mouroirs, dont les morts n’étaient même pas incorporés au décompte quotidien par les autorités jusqu’à récemment ?), et d’inciter les plus de 65 ans (et les personnes à risque) à pratiquer un auto-confinement strict. Décourager certains grands rassemblements, pendant quelques semaines, aurait probablement aussi pu être utile.

On objectera que le confinement protège la santé « des autres », antienne qui revient en boucle pour transformer cette couardise collective en acte de bravoure. Mais l’« autre » qui craint pour sa santé n’a qu’à se confiner lui-même pour que mon non confinement soit sans importance pour lui : je ne peux contaminer par définition qu’un autre non confiné.

Mais assigner à résidence 67 millions de français, parce que M. Macron a vu des images de parcs parisiens bondés un dimanche après-midi (alors qu’il incitait lui-même à « aller au théâtre » quelques jours avant) ressemble à la fois à une punition collective et à un recul sans précédent de nos libertés. Et de notre dignité d’adultes.


Tribune soumise via notre formulaire en ligne. J.F. Muret est un pseudonyme et ne fait pas partie de la rédaction.