Coronavirus : pourquoi nous devons radicalement changer notre relation à la biodiversité

Coronavirus : pourquoi nous devons radicalement changer notre relation à la biodiversité

21/04/2020 Non Par Arnaud Lefebvre

L’épidémie de SARS en 2002, d’Ebola en Afrique de l’Ouest de 2013 à 2016 ainsi que l’actuelle pandémie de covid-19 sont des exemples de « débordement » (« spillover » en anglais), à savoir la transmission d’un virus ou autre pathogène d’un porteur non humain au premier porteur humain ou patient zéro. Cependant, les êtres humains ne sont pas des victimes passives de ces débordements, estime Christine K. Johnson, épidémiologiste de l’Institut One Health de l’Université de Californie à Davis (UC Davis). Une constatation que partagent plusieurs experts et scientifiques.

« Les humains sont à l’origine du passage des virus des animaux aux humains. Et nous devons prendre des mesures au lieu d’attendre passivement la prochaine pandémie », avertit la chercheuse dans un article de BBC Mundo.

Résultat direct des actions humaines sur la faune et son habitat

« Le débordement de virus d’animaux est le résultat direct de nos actions sur la faune et son habitat », explique Johnson, auteure principale d’une étude publiée dans la revue Royal Society Proceedings B.

La conséquence de cette interférence de l’homme sur la biodiversité est que les animaux partagent avec nous leurs virus. Nos actions augmentent simultanément le risque d’extinction des espèces ainsi que les débordements ou spillovers.

Selon le programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), les zoonoses, à savoir les infections transmises de l’animal à l’humain, représentent 60% des maladies infectieuses de l’homme. Récemment, Gwenaël Vourc’h, directrice-adjointe de l’unité d’épidémiologie vétérinaire de l’INRAE, l’Institut national de recherche agronomique, faisait un constat similaire à celui de Christine Johnson :

« Etant donné la croissance de la population humaine et son utilisation toujours plus intense des ressources planétaires, la destruction d’écosystèmes de plus en plus nombreux multiplie les contacts entre espèces. »

Pour la scientifique britannique, la convergence malheureuse de ces facteurs fait en sorte que nous aboutissons à des situations de crise comme celle que nous traversons actuellement.

Espèces menacées

Johnson et ses collègues ont étudié 142 cas de débordement de virus provoquant des zoonoses. Les scientifiques ont combiné ces données avec le statut des animaux selon la liste rouge mondiale des espèces menacées, élaborée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN). Cette étude s’est uniquement basée sur les virus et les mammifères. Cependant, des modèles clairs ont émergé.

Dans un premier temps, il est apparu que les animaux domestiques avec lesquels nous vivons depuis des siècles sont la principale source de virus transmis à l’homme. D’autre part, les espèces sauvages qui vivent dans des écosystèmes proches des populations humaines telles que les rongeurs, les primates et les chauves-souris sont une autre source importante de transmission des virus.

Une découverte importante de l’étude concerne les espèces menacées. Les animaux dont les populations ont décliné à cause de la chasse, du trafic et de la perte d’habitat abritent deux fois plus de virus zoonotiques que les espèces sauvages dont les populations ont diminué à cause de facteurs non liés à l’action humaine tels que l’apparition d’une maladie.

Selon Johnson, ce constat montre que l’action humaine modifie profondément l’habitat des animaux sauvages.

Conséquences de l’action humaine

« Nos données montrent qu’il existe deux processus principaux qui expliquent le risque de débordement de virus en provenance d’espèces menacées d’extinction », précise Johnson.

D’un côté, l’exploitation de la vie sauvage à travers la chasse, la capture et le braconnage provoquent un contact rapproché entre l’homme et les animaux. Par conséquent, ces derniers partagent leurs virus avec nous au travers de sécrétions respiratoires ou par le contact avec leurs excréments, leur urine ou leur sang.

« Ces animaux sont ensuite vendus sur des marchés bondés. Une multitude de personnes se mélangent avec ces animaux en captivité, ce qui crée un environnement parfait pour le passage de virus entre des espèces qui ne seraient jamais en contact dans leur habitat naturel. »

Le second processus de débordement est lié aux dégâts engendrés par l’action humaine sur les écosystèmes. A cause de celle-ci, les animaux sauvages sont obligés de modifier leurs distributions, de migrer et d’entrer en contact avec d’autres espèces rivales. Ils sont également contraints de se rapprocher des populations humaines lorsqu’ils recherchent d’autres espaces pour survivre.

« La destruction de l’habitat et la perte de biodiversité modifient la dynamique des maladies de la faune. Compte tenu de la tendance de la croissance de la population humaine et de l’utilisation des terres, nous pouvons nous attendre à ce que de nouveaux virus émergent de plus en plus fréquemment », met en garde l’épidémiologiste.

Débordements de plus en plus fréquents

En 2012, le célèbre journaliste scientifique américain, David Quammen, avait déjà mis en garde contre le risque de débordement dans son livre  « Spillover: Animal Infections and the Next Human Pandemic« . Dans cet ouvrage, Quammen énumère une longue liste de virus d’origine animale ayant été transmis à l’homme tels que le Marburgvirus en 1967, la fièvre de Lassa en 1969, le virus Nipah en 1998 ou encore la grippe porcine de 2009.

« Les êtres humains ont toujours vécu au contact des animaux sauvages, raison pour laquelle le débordement actuel n’est pas quelque chose de nouveau », explique Quammen.

Selon ce dernier, les débordements sont de plus en plus fréquents.

« Cela se doit au fait que les êtres humains sont plus nombreux que jamais et que nous perturbons chaque fois davantage le monde animal et naturel. De plus en plus d’humains sont en contact avec les animaux sauvages qu’ils chassent et consomment, ce qui crée les conditions parfaites pour un débordement. Parallèlement, nous sommes plus connectés que jamais grâce à des moyens de transport chaque fois plus rapides, ce qui fait que si un virus se transmet à l’homme, il aura l’occasion de traverser la moitié du globe à bord d’un avion, en à peine 20 heures. »

Les fermes industrielles sont également un terrain extrêmement fertile pour les pandémies, écrivent dans The Guardian, Jonathan Safran Foer, auteur du Livre « We Are the Weather: Saving the Planet Begins at Breakfast » et Aaron S Gross, fondateur de Farm Forward et professeur agrégé à l’Université de San Diego.

« Les agents pathogènes ne respectent pas les limites entre les espèces. La grippe et les coronavirus se déplacent avec fluidité entre les populations humaines et animales, tout comme ils se déplacent entre les nations. En matière de pandémies, il n’y a ni santé animale, ni santé humaine. La distanciation sociale ne fonctionne que lorsque tout le monde la pratique et ce « tout le monde » inclut les animaux. »

Selon les deux experts, malgré le fait que l’histoire de covid-19 n’est pas encore totalement connue, on peut d’ores et déjà établir des liens entre la santé animale et la santé humaine.

« La viande que nous mangeons aujourd’hui provient majoritairement d’animaux génétiquement uniformes, immunodéprimés et régulièrement drogués et logés par dizaines de milliers dans des bâtiments ou des cages empilées. C’est dans les élevages de poulets que nous avons le plus souvent trouvé des virus qui ont muté d’une forme découverte uniquement chez les animaux en une forme qui nuit aux humains. Ces nouveaux virus inconnus de notre système immunitaire peuvent s’avérer les plus meurtriers », indiquent les auteurs.

Selon ces derniers, pour réduire le risque de pandémies, notre regard doit se tourner vers la santé des animaux. Dans le cas des populations d’animaux sauvages, telles que les chauves-souris que les scientifiques ont théorisées comme un point d’origine probable du covid-19, la meilleure solution semble être de limiter et de réguler l’interaction humaine.

Dans le cas des animaux d’élevage, cependant, le manque de compréhension et d’information du public a permis à des sociétés sans scrupules de faire évoluer la politique dans la mauvaise direction. Partout dans le monde, des entreprises ont réussi à créer des politiques qui utilisent les ressources publiques pour promouvoir l’agriculture industrielle.

D’un point de vue scientifique, le lien entre l’élevage industriel et l’augmentation du risque de pandémie est clairement établi.

« Toutefois, par le passé, la volonté politique de limiter ce risque a bien souvent été absente. Il est maintenant temps de construire cette volonté. Il est important que nous en parlions, que nous partagions nos préoccupations avec nos amis, que nous expliquions ces problèmes à nos enfants, que nous nous interrogions ensemble sur une manière différente de consommer, que nous interpellions nos dirigeants politiques et que nous soutenions les organisations de défense qui luttent contre l’agriculture industrielle. »

Leçons de la pandémie

Selon Quammen, on peut tirer diverses leçons de l’actuelle pandémie.

« Si nous voulons éviter que de futurs débordements se transforment en pandémies, nous devons radicalement changer nos modèles de consommation afin de réduire notre interférence et la destruction du monde naturel. Nous devons en outre être davantage préparés sur le plan de la santé publique avec un personnel entraîné et grâce à une capacité de production rapide d’équipements de protection, de kits de diagnostique et de vaccins. Le monde politique doit être conscient que les pandémies sont une menace véritable et gigantesque. »

Pour Quammen, les maladies zoonotiques nous rappellent que les êtres humains sont inséparables du monde naturel.

« En fait, il n’y a pas de « monde naturel ». C’est une expression erronée et artificielle. Il y a un monde, et les êtres humains en font partie avec les virus, les chimpanzés et les chauves-souris. »

« Il existe un lien entre la santé publique et la conservation des espèces et nous devons trouver des moyens plus durables de coexister avec la faune », ajoute encore Christine Johnson. « L’émergence de maladies nous affecte tous et nous devons comprendre l’impact que nous avons lorsque nous interférons avec la faune. Nous devons réaliser que l’émergence de la maladie est également un problème environnemental. »

« Cette pandémie est une terrible opportunité de nous éduquer et de comprendre notre relation avec le monde naturel. Nous sommes sans aucun doute responsables de ce qui arrive. Toutes nos décisions – ce que nous mangeons, les vêtements que nous utilisons, les articles électroniques que nous possédons, les enfants que nous voulons avoir, la fréquence de nos voyages, l’énergie que nous consommons – constituent une pression sur le monde naturel. Les humains sont l’espèce la plus abondante de l’histoire de la planète. Il s’agit d’un déséquilibre écologique qui ne peut pas se poursuivre éternellement. Il y aura à un certain moment une correction naturelle. C’est ce qui arrive à beaucoup d’espèces : lorsqu’elles sont trop abondantes pour les écosystèmes, il leur arrive quelque chose : le manque de nourriture, l’évolution de nouveaux prédateurs qui s’en prennent à elles ou des pandémies virales qui les déciment », conclut Quammen dans le quotidien espagnol El País.