Qu’est-ce que la responsabilité en politique ? Réflexions pour l’après virus

Qu’est-ce que la responsabilité en politique ? Réflexions pour l’après virus

07/04/2020 Non Par Jean-Philippe Muret

Alors que l’épidémie du Covid-19 fait rage, il devient de plus en plus évident que l’après crise sera marqué par un examen approfondi de la façon dont les autorités ont géré la situation. La communication du gouvernement ressemble d’ailleurs de plus en plus à une tentative de désamorçage anticipé des mises en causes judiciaires qui ne manqueront pas. Le procès des responsables du Covid-19 sera sans aucun doute le procès du « sang contaminé » de notre époque, et la question du couple responsabilité/culpabilité y sera probablement à nouveau débattue. Entendra-t-on Agnès Buzyn, Edouard Philippe et Jérôme Salomon dire à leur tour qu’ils sont « responsables mais pas coupables » ?

La question de la « responsabilité » s’est, sous l’influence de la judiciarisation des débats, globalement ramenée à la question de l’action directe (et volontaire) d’un individu. Je suis responsable de mes actions, et de rien d’autre : on ne peut me demander d’assumer les actes d’un autre notamment. La dimension éthique a été gommée, comme l’ont montré les affaires Fillon ou Rugy, qui ont vu le débat se focaliser sur la seule question de la légalité des actions considérées, et renvoyer la dimension éthique a une sorte de sphère privée échappant à l’examen.

Pourtant, il existe d’autres approches de la notion de responsabilité, moins restrictives et « infantiles ». La logique assurantielle, par exemple, a introduit l’idée de « responsabilité sans faute », qui fait que je dois indemniser mon voisin si la tempête fait tomber mon arbre sur sa voiture. Surtout, dans la lignée du droit de la guerre, la responsabilité du chef (militaire ou civil) peut être engagée pour des actes ou des omissions commises par ses subordonnés. C’est à cette aune que la responsabilité des élus ou des hauts responsables administratifs, doit être appréciée.

Deux exemples récents sont particulièrement illustrant. Lors des attaques terroristes du Bataclan, le Ministre en charge de la sécurité des français n’a pas été considéré comme « responsable ». De même, lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris, le Ministre supervisant le Patrimoine national ainsi que tous les travaux qui s’y déroulent, n’a pas été questionné sur sa « responsabilité ». Tout s’est passé, dans ces deux cas, comme si un astéroïde avait écrasé une salle de concert ou un bâtiment religieux : un événement purement extérieur, et sur lequel il serait même incongru de convoquer une notion de « responsabilité ».

Pourtant, songeons à une situation similaire, dans le domaine économique.

Si une centrale nucléaire explosait, parce qu’un sous-traitant a eu accès à une zone sensible et y a entreposé des produits dangereux, ou s’est adonné à une activité interdite (comme fumer des cigarettes), comment se déroulerait l’enquête ? Le patron de l’entreprise d’électricité pourrait-il s’en laver la main, parce qu’il n’est pas le directeur de cette usine en particulier ? Le directeur de l’usine pourrait-il être exonéré au motif qu’il n’est pas le chef d’équipe ? Le chef d’équipe au motif que, lui personnellement, n’a pas fumé dans une zone dangereuse ?

Lorsque le Président choisit son Ministre de la Culture, dont l’une des tâches principales consiste à veiller sur notre patrimoine, qu’attend-il de lui ? Des discours sur la reconstruction d’un bâtiment qui a brûlé sous sa responsabilité, ou d’assurer que les travaux réalisés sur un élément majeur du patrimoine national sont réalisés dans les meilleures conditions ?

Lorsque le Président choisit son Ministre de l’Intérieur, n’attend-il pas de lui qu’il assure que ses services déjoueront les tentatives d’attaques (concertées et préparées) sur le sol national ? Et s’il échoue, ne devra-t-il pas confier cette responsabilité à un autre ?

Bref, au moment où ceux qui sont « aux responsabilités » tremblent dans l’attente des procès qui suivront la crise du coronavirus, il est essentiel de se demander : peut-on être « en charge » sans être « responsable ». Et « responsable » sans assumer l’échec quand il se produit, même si on n’en est pas, individuellement, la cause ?


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