Comment l’hyperconnexion promeut l’individualisme, l’isolement et la solitude

Comment l’hyperconnexion promeut l’individualisme, l’isolement et la solitude

21/12/2020 Non Par Arnaud Lefebvre

De nos jours, il existe une multitude de réseaux sociaux, applications et dispositifs intelligents. Cependant, on pourrait se demander si ces outils nous aident à nous connecter davantage. Certaines voix pensent que ce n’est pas du tout le cas et qu’au contraire, au lieu de rassembler ses utilisateurs, l’hyperconnexion promeut l’individualisme et l’isolement.

66% de la population mondiale utilise un smartphone et 59% surfe sur Internet. En outre, en 2020, selon We Are Social, 3,9 milliards de personnes ont un compte sur un réseau social. L’interaction ne connaît ni les barrières horaires, ni les obstacles géographiques. Et maintenant, alors que nous venons de vivre l’année du télétravail et des relations virtuelles à cause de la pandémie, c’est encore moins le cas, écrit Juan Diego Godoy, dans Retina, le supplément technologique du quotidien espagnol El País.

Hyperconnectés et plus seuls que jamais

« Avec les réseaux sociaux, nous nous sommes rendus compte qu’être davantage connecté n’est pas nécessairement synonyme d’être accompagné ou satisfait. Cela ne nous aide pas non plus à avoir de meilleures relations », explique le scientifique et psychologue espagnol Celestino González Fernández.

Selon une étude du Center for Research on Media, Technology and Health de l’Université de Pittsburgh, les jeunes entre 19 et 32 ans passent deux heures ou plus par jour connectés aux réseaux sociaux. Consécutivement à cette hyperconnexion, ils ont deux fois plus de probabilités de se sentir seuls ou isolés que leurs pairs qui passent moins de temps connectés.

Selon une autre étude des universités de Columbia et de Northwestern, l’auto-idéalisation sur les réseaux sociaux est néfaste pour l’estime de soi. « Les réseaux sociaux ne cherchent pas à nous faire sociabiliser, ils cherchent à nous faire croire que nous dépendons de ces plateformes pour sociabiliser », explique la sociologue et digital researcher Marta Espuny Contreras.

L’individualisme comme produit des réseaux sociaux

Ces dernières années, le monde n’a eu de cesse de devenir chaque fois plus numérique. Il est courant que l’on nous vende la révolution technologique comme un point de rencontre sociale. Par exemple, la mission de Facebook est « d’offrir aux personnes le pouvoir de créer des communautés et de faire du monde un endroit plus connecté. La mission d’Instagram est quant à elle de « créer des expériences qui unissent les personnes et promeuvent une communication authentique. »

Programme charmant. Toutefois, la réalité est autre.

« Les technologies digitales et leurs industries nous offrent des produits globalisés, mais, en même temps, extrêmement personnalisés et individualisés étant donné que les anciennes dynamiques, jadis collectives, se fragmentent », ajoute Espuny.

La télévision ne se voit plus en famille. Les rencontres entre amis sont bien souvent interrompues par les consultations du smartphone. Dorénavant, avec la pandémie, les réunions autrefois réalisées par courriel et les discussions entre les équipes de travail se réalisent via une plateforme de vidéoconférence ou par messagerie instantanée.

« Au sein des thérapie psychologiques, les profils influencés par l’usage de la technologie sont de plus en plus courants. Ils présentent des symptômes d’addiction, d’isolement et détérioration des relations sociales », admet la psychologue.

Le ressentiment envers le langage verbal et non verbal, le déclin de la proxémie (relation spatiale entre les personnes en tant que manifestation sociale et signifiante) et le manque de compétences de rédaction sont des symptômes typiques et courants chez les personnes qui, paradoxalement, à cause de leur addiction aux réseaux sociaux, ont négligé leurs compétences communicatives.

2021 : solitude, tristesse et pandémie

Selon les experts, 2021 sera fait de solitude et de tristesse (renforcée par les effets du confinement) ainsi que de l’essor de la génération Z. Geert Lovink, professeur et chercheur sur les médias interactifs de l’École Supérieure de l’Université d’Amsterdam, la tristesse est la variable la plus puissante liée à l’individualisme des réseaux sociaux. Dans son livre « Sad by Design », il avance que « la tristesse est maintenant un problème de design » et que « les hauts et les bas de la mélancolie sont codifiés au sein des plateformes de réseaux sociaux de sorte qu’après avoir fait clic, après avoir navigué et mis un « like », tout ce qu’il nous reste c’est le résultat évident de vide consécutif au temps perdu sur l’application ».

Dans son livre, l’auteur analyse les controverses récentes autour des réseaux sociaux, des fausses nouvelles, des memes viraux et toxiques et l’addiction en ligne à l’essor des selfies. « Le selfie apparaît comme un cri de sociabilisation. Je publie une photo de moi pour interagir avec mon entourage, mais la seule chose certaine, c’est qu’il s’agit d’un acte narcissique et individualiste », ajoute Espuny.

Génération Z

Les regards sont également tournés vers la génération Z, la nouvelle génération qui rentrera sur le marché du travail dans quelques années. Selon le dernier rapport de Bank Of America, la génération Z préfère les villes à la campagne car celles-ci ont une connexion internet. Cette génération ressent le besoin constant et la pression d’être perpétuellement connectée. Ses membres ont un compte sur au moins trois réseaux sociaux et 40% d’entre eux préfèrent interagir avec leurs amis davantage de manière virtuelle qu’en personne.

Pour cette génération, cela n’a aucun sens de vivre des expériences sans les « partager » sur les réseaux sociaux. Cela crée une addiction à la technologie, une anxiété technologique et une fatigue technologique. Être dépendant de la réalité virtuelle de manière continue peut être plus fatigant et exigeant que lorsqu’il s’agit du monde extérieur.

Avec la voie numérique que prend le monde, les risques de tomber dans l’hyperconnectivité vont-ils augmenter et ainsi faire en sorte que l’on s’éloigne des relations personnelles et sociales, nécessaires au développement personnel ?

« Cette hyperconnectivité doit nous amener à réfléchir. Je ne crois pas que la solution soit de se séparer et de diaboliser la technologie, puisque son utilisation est bénéfique pour les êtres humains. Il faut plutôt opter pour une consommation plus responsable et moins invasive dans nos vies. À l’avenir, nous rechercherons de plus en plus la déconnexion numérique, les jeûnes technologiques et la désintoxication numérique », avance le psychologue Celestino González Fernández.

« Ainsi, le concept d’hyperconnectivité n’est pas forcément ce que l’industrie numérique a vendu à travers ce que beaucoup appellent le capitalisme de plate-forme, car éloigné du collectivisme, on tend chaque jour à plus d’individualisme, d’isolement et d’excès d’attention que demande le monde virtuel », conclut Juan Diego Godoy.