L’auto-idéalisation sur les réseaux sociaux est néfaste pour l’estime de soi

L’auto-idéalisation sur les réseaux sociaux est néfaste pour l’estime de soi

13/10/2020 Non Par Arnaud Lefebvre

D’une manière générale, les utilisateurs qui s’expriment plus authentiquement sur Internet ont des niveaux de bien-être plus élevés, indique une étude des universités de Columbia et de Northwestern.

Toutefois, être plus authentique sur les réseaux sociaux n’est pas aussi simple. Qui, de nos jours, osent publier sur Twitter ou Facebook ce qu’il pense exactement ? Ou partager une photo sans l’avoir éditée sur Instagram ou sur Tinder ? Qui oserait affirmer qu’il ne convient pas pour un emploi sur LinkedIn ?

Estime de soi et bien-être

Certains utilisateurs font pourtant preuve d’authenticité sur les réseaux sociaux. Selon l’étude des chercheurs des deux universités, via cette attitude en ligne, ces personnes développent une meilleure estime de soi et sont en mesure de la sorte d’optimiser leur bien-être.

Mais peu nombreux sont ceux qui agissent de cette manière au sein de la réalité virtuelle. Dans leur rapport, les psychologues expliquent pourquoi nous avons tendance à davantage d’auto-idéalisation et à moins d’authenticité sur les réseaux sociaux.

Les scientifiques ont analysé les données de 10.560 utilisateurs de réseaux sociaux compilées entre 2007 et 2012, principalement sur Facebook. Ils ont conclu que les personnes plus authentiques sur ces plateformes ont non seulement une meilleure estime de soi, mais combattent également plus efficacement le stress et l’anxiété.

« Nos résultats suggèrent que les personnes qui utilisent les réseaux sociaux pour s’exprimer de manière plus authentique ont tendance à ressentir davantage de bien-être subjectif », explique Erica Bailey, auteure principale de l’étude, dans une interview au quotidien espagnol El País.

Durant leur expérience, les chercheurs ont fait passer une série de tests psychométriques aux participants afin de déterminer au mieux leur personnalité. Par la suite, ils ont comparé ces résultats avec les traits de personnalité de chacun des utilisateurs sur les réseaux sociaux. Ils ont pour cela utilisé un modèle informatique basé sur leurs goûts et sur le langage utilisé dans leurs publications. Ils ont découvert que, malgré la diversité des types de personnalité, l’expression de soi authentique est liée à des niveaux plus élevés de satisfaction dans la vie.

Plus d’auto-idéalisation, moins de vérité

« Les réseaux sociaux se caractérisent pour transmettre ce phénomène d’auto-idéalisation et Instagram en est le meilleur exemple avec ses filtres et ses retouches », explique Oliver Serrano, psychologue spécialisé dans les réseaux sociaux.

La question de l’auto-idéalisation, cette attitude projetée adoptée par convenance ou prétention, au lieu de l’authenticité, n’est pas nouvelle et existait bien avant les réseaux sociaux.

« Tout le monde veut être meilleur. C’est la raison pour laquelle, par exemple, nous nous habillons bien. Cela a toujours été ainsi, le fait est que maintenant nous avons transposé cette manière d’être aux réseaux sociaux », explique le spécialiste.

Auto-discordance

Pour le psychologue et expert en technologies, Celestino González-Fernández, l’auto-idéalisation peut s’expliquer grâce à une théorie apparue en 1987.

« Il s’agit de la théorie de l’auto-discordance de Higgings selon laquelle il faut différencier le moi idéal du moi réel et du moi responsable. Selon cette théorie, lorsqu’il existe des discordances entre ceux-ci, les personnes souffrent émotionnellement », explique le psychologue. Par exemple, si le moi réel diverge du moi idéal, les personnes se sentent déprimées, déçues, découragées et tristes.

D’autre part, si le moi réel diverge du moi responsable, les personnes se sentent inquiètes, nerveuses et tendues. « Nous pouvons voir la justification de création de cette auto-idéalisation de cette manière : il s’agit davantage d’une amélioration de la souffrance émotionnelle plus que d’authenticité. »

« L’authenticité n’est généralement pas bien valorisée », explique Enric Valls, psychologue expert en santé. Par exemple quelqu’un de très honnête peut être considéré comme ayant peu de tact et faisant preuve de peu d’empathie alors que cela devrait être l’inverse. « Une personne souriante, naturelle et spontanée est synonyme de bonne estime de soi car ce que pensent les autres ne lui importe pas. »

Le psychologue suggère que c’est pour cette raison que ce que nous projetons sur les réseaux sociaux n’a rien à voir avec la réalité. « Nous suivons des modèles d’idéalisation et de concepts selon lesquels tout est parfait ; des personnes qui rient constamment, pour qui tout se passe bien mais qui dépendent des likes et sont accros aux suiveurs. Mais comme la vie n’est pas toujours comme cela, les personnes qui suivent ce modèle consciemment souffrent beaucoup et c’est une raison pour laquelle elles consultent un spécialiste. »

La culture du « like »

Mais il existe également une explication psychologique derrière le fonctionnement des réseaux sociaux.  « Ils utilisent des techniques pour parvenir à la zone du cerveau dénommée système de récompense et composée de l’aire tegmental ventral, du noyau accumbens, du cortex préfrontal et de l’hypothalamus. L’hormone du plaisir se libère ainsi que la dopamine et la personne entre dans un cercle vicieux avec le le besoin d’utiliser chaque fois plus son smartphone et les applications pour expérimenter cette sensation de plaisir. »

Le bouton « like » est une de ces techniques. Présent sur tous les réseaux sociaux, cet outil génère dans notre cerveau un renforcement constant de cette sensation.

Les psychologues consultés s’accordent à dire que les conclusions de l’étude mettent en évidence une qualité humaine : la cohérence. « Lorsqu’il n’y a pas de dissonance entre ce que vous montrez et ce que vous êtes, vous êtes plus calme et détendu. En ayant une cohérence entre la vie réelle et la vie dans les réseaux, nous réduisons l’anxiété », explique Serrano.

Mais malgré ces résultats positifs, Bailey doute de l’utilisation des médias sociaux en général. « Nous ne pouvons pas être sûrs que ce type d’utilisation des réseaux sociaux [plus authentique et moins idéaliste] est meilleure pour le bien-être personnel. »