Assistons-nous à la mort cérébrale de Twitter ?

Assistons-nous à la mort cérébrale de Twitter ?

16/12/2022 Non Par Arnaud Lefebvre

La mort ne se produit pas en un instant, il s’agit d’un processus lors duquel nous arrêtons de respirer et nos organes cessent de fonctionner. Parallèlement, notre cerveau s’éteint également. Toutefois, bien que la mort cérébrale soit permanente, notre cœur peut continuer à battre tout seul pendant un certain temps. Pour Abby Ohlheiser, rédactrice en chef de MIT Technology Review, Twitter est entré dans une phase de mort cérébrale depuis la mainmise d’Elon Musk sur ce réseau social. Selon elle, les processus maintenant Twitter en ligne continuent de battre. Toutefois, ce que Twitter était auparavant est désormais de l’histoire ancienne.

Accueil d’extrémistes et départ des annonceurs

Twitter a récemment supprimé son Trust and Safety Council. Actif depuis 2016, ce conseil est un ample groupe de bénévoles incluant des défenseurs des droits civiques, des universitaires et des experts conseillant Twitter.

Cependant, pendant ce temps, la plateforme de Musk a accueilli des extrémistes américains de haut vol. Ceux-ci avaient été précédemment bannis de Twitter.

Le chercheur Travis Brown a ainsi recensé la présence sur Twitter de :

  • Patrick Casey, le suprémaciste blanc des Républicains ;
  • Meninist, un compte Twitter prônant la défense des « droits des hommes » ;
  • Peter McCullough, cardiologue médiatisé grâce à la promotion de traitements covid-19 discrédités et antivax ;
  • Tim Gionet alias Baked Alaska, personnalité d’extrême-droite ayant streamé l’attaque contre le Capitole américain.

Les diverses réductions d’emplois, de coûts ainsi que le démantèlement de l’infrastructure de sécurité de Twitter par Musk ont en outre motivé l’exode massif des annonceurs publicitaires. Selon certaines estimations, 50% des principaux annonceurs publicitaires auraient délaissé le réseau. Par ailleurs, en termes de recettes publicitaires, les résultats seraient de 80% inférieurs aux prévisions.

D’autre part, les marques restantes se retrouvent face à un dilemme car Twitter a mis fin à sa politique de désinformation sur le covid-19.

Depuis lors, de nombreux utilisateurs ont fait part de leur souhait de mettre en pause leur compte ou encore de migrer sur une autre plateforme.

Selon d’autres estimations, suite à la prise de contrôle de Musk, un million d’utilisateurs seraient partis de Twitter. Elton John fait partie de ceux-ci. Celui-ci a justifié son départ de Twitter par la mise en application des changements de politique concernant la désinformation.

Soutien de l’extrême-droite américaine

Selon une analyse de MIT Technology Review via Hoaxy, le nouveau rôle de Musk sur Twitter revient à soutenir l’extrême-droite américaine. Hoaxy est un outil de l’Université de l’Indiana permettant de montrer la propagation d’informations via l’analyse de la fréquence de mots-clés et d’interactions entre des comptes individuels.

Hoaxy permet de suivre ces interactions. De cette manière, l’outil montre les connexions entre comptes individuels sur base d’un mot-clé ou hashtag précis. Cela permet ainsi d’indiquer si le compte individuel est celui responsable de l’amplification du terme de recherche ou si ce compte fait l’objet d’une mention par les autres comptes.

Les comptes activement impliqués dans les fils de discussion apparaissent sous forme de « nœuds ».

Selo Hoaxy, Elon Musk est apparu tel un « nœud » principal relatif à l’emploi de l’insulte « groomer ». Ce terme est une insulte homophobe s’appliquant généralement aux pédophiles mais par extension il est également employé pour véhiculer de vieux stéréotypes sur l’homosexualité.

Selon un rapport de GLAAD et Media Matters, Musk n’a pas diffusé lui-même le terme. Toutefois, il est responsable d’une augmentation de sa fréquence d’utilisation et de sa portée.

Dans certains cas, Musk est tagué au sein de conversations d’autres personnes utilisant ce terme. Dans d’autres contextes, des utilisateurs ont recours au terme pour attirer l’attention de Musk et gagner en visibilité. Musk est également parfois l’objet d’un tag au sein de conversations utilisant l’insulte pour harceler les utilisateurs en désaccord avec lui.

Enfin, Musk s’entretient régulièrement avec des utilisateurs expérimentés et des fans. Parmi ceux-ci, on trouve des comptes conservateurs et de représentants d’extrême-droite tels que Miles Cheong et Andy Ngo.

Twitter, une entreprise active sur un marché génocidaire

Parallèlement à ce soutien de l’extrême-droite américaine, Musk fait la promotion des récits de cette dernière concernant la liberté d’expression. Toutefois, de cette manière, Musk fait part d’une méconnaissance totale du rôle de Twitter dans le monde, explique Ohlheiser.

Selon Thenmozhi Soundararajan, directeur exécutif d’Equality Labs, une association de défense des droits civiques, la mainmise de Musk sur Twitter est apocalyptique. Anciennement membre du Trust and Safety Council de Twitter, Soundararajan a collaboré avec la plateforme dans sa lutte contre les discours de haine contre les groupe marginalisés en Inde.

Soundararajan a expliqué que tous les membres du réseau avec lesquels Equality Labs collaborait ont été virés. Selon elle, Twitter est une entreprise américaine active sur un marché génocidaire.

Twitter est cassé

Bien que toujours essentiel, sous Musk, Twitter est cassé. En effet, il n’existe pas de plateforme alternative pour les personnes utilisant Twitter pour demander de l’aide, pour être visibles et créer des communautés de soutien.

D’autre part, plusieurs utilisateurs idéologiquement opposés à Musk ont assisté à la lente fermeture des organes vitaux de Twitter. Ils se demandent maintenant s’il vaut la peine de rester sur la plateforme pour la maintenir en vie ou s’il est temps de partir.

Selon Katherine Cross, doctorante à l’Université de Washington, experte dans le harcèlement en ligne en réseau, Twitter ne se remettra jamais de cette période. La spécialiste estime qu’il est temps de voir Twitter comme une communauté de niche de personnes idéologiquement proches de Musk. Pour elle, la place de Twitter dans l’écosystème internet doit être réinventée.