L’IA peut-elle révolutionner la médecine de demain ?

L’IA peut-elle révolutionner la médecine de demain ?

30/08/2023 Non Par Guillaume Pruvost

Les inquiétudes qui règnent dans le domaine artistique contrastent nettement avec l’enthousiasme grandissant qui caractérise le secteur de la santé. Le médecin et chercheur Jean-Emmanuel Bibault jette la lumière sur les horizons prometteurs des technologies en plein essor, écartant ainsi les scénarios alarmistes.

Comment envisagerons-nous la médecine à l’avenir ? Selon les convictions de Jean-Emmanuel Bibault, les avancées de l’intelligence artificielle vont profondément remodeler notre approche de la santé dans les années à venir. Exerçant en qualité d’oncologue et de radiothérapeute à l’hôpital européen Georges Pompidou, il occupe également le poste de professeur à l’université Paris Cité et mène des recherches au sein de l’INSERM, se consacrant spécifiquement à l’application de l’intelligence artificielle dans le domaine médical. Son livre, « 2041, l’Odyssée de la médecine », édité par les Éditions Équateur, reflète son optimisme : « Nous sommes au seuil de créer des machines capables de prodiguer des soins plus efficacement que nous-mêmes. Sous peu, ces machines s’érigeront en rempart contre les maladies avec une efficacité intransigeante ».

L’intelligence artificielle plus performante que l’humain pour les soins ?

Jean-Emmanuel Bibault met en avant : « L’une des raisons qui m’ont incité à rédiger ce livre était précisément de nuancer le discours souvent empreint de pessimisme qui entoure l’intelligence artificielle. Nos références populaires sont souvent façonnées par des schémas empruntés à la culture populaire, comme Terminator ou Matrix, entre autres. Pourtant, je tenais à expliquer que des raisons solides nous permettent d’espérer des retombées largement positives, tout en évitant tout excès d’idéalisme et de naïveté. Il est essentiel de comprendre que l’IA sera un outil analogue à l’émergence du scanner ou de l’IRM. Ces technologies se sont révélées extrêmement puissantes et ont révolutionné la prise en charge des patients. L’IA viendra s’ajouter aux ressources à disposition du corps médical.

Près de 240 dispositifs sont d’ores et déjà en utilisation. Jean-Emmanuel Bibault souligne : « L’IA est déjà présente dans divers domaines, principalement liés à l’imagerie, ce qui englobe les tâches de perception et d’analyse d’images. En radiologie, par exemple, elle peut apporter un soutien dans l’interprétation des mammographies. Récemment, une étude portant sur le dépistage du cancer du sein a démontré des résultats extrêmement positifs grâce à l’IA. Par ailleurs, il existe des IA capables d’analyser les radiographies de fractures de la cheville et de déterminer s’il s’agit d’une entorse ou d’une fracture. D’autres outils ont la capacité de détecter la présence d’arthrose. Dans le domaine de la radiothérapie, avant d’administrer les rayonnements, un scanner du patient est généralement réalisé pour délimiter la zone à traiter. Actuellement, cette tâche est principalement effectuée manuellement, mais grâce à l’IA, cette étape pourrait être réduite de 2 à 3 heures. »

De la simple prédiction ?

Les progrès réalisés dans le domaine de l’imagerie médicale ne se limitent pas à l’amélioration des diagnostics. Il est envisageable que l’intelligence artificielle soit en mesure, à l’avenir, d’anticiper l’apparition de certains types de cancer. Selon les propos de Jean-Emmanuel Bibault : « À l’horizon futur, l’intelligence artificielle pourrait accomplir ce que les êtres humains ne peuvent pas effectuer, voire peut-être ne pourront jamais réaliser de manière adéquate, à savoir la prédiction. Les événements qui se dérouleront dans les 5 ou 10 prochaines années sont globalement prévisibles, mais sans nécessairement être précis ou pertinents. L’IA, cependant, pourrait proposer des prédictions fondées sur des données et des arguments, tout en étant en mesure d’expliciter la raison derrière une telle prédiction, un élément crucial. C’est ce qu’on appelle l’interprétabilité. À mon avis, c’est dans ce domaine que l’IA pourrait avoir le plus grand impact en médecine : dans la prédiction, et potentiellement dans la prévention et l’adaptation des traitements. »

Dans son ouvrage, Jean-Emmanuel Bibault envisage qu’en 2041, l’intelligence artificielle puisse identifier les anomalies génétiques responsables du développement du cancer, puis concevoir la molécule qui ciblerait ces anomalies pour empêcher l’apparition ou favoriser la guérison d’une tumeur. « Une évolution dans cette direction est inévitable. La synthèse personnalisée de médicaments est déjà une réalité. Il est envisageable qu’à l’avenir, vous puissiez vous rendre à une borne dans la rue pour obtenir des médicaments spécialement conçus pour vous, en temps réel. »

Le livre de Jean-Emmanuel Bibault fourmille d’exemples captivants. Il évoque notamment une application actuellement à l’étape de prototype, qui permettrait de prendre en photo, à l’aide d’un smartphone, une zone de la peau ou une tache de pigmentation suspecte, afin de déterminer son caractère dangereux ou non. « Cette idée découle d’une étude menée en 2016 par une équipe de l’Université de Stanford, qui a démontré les performances d’une IA comparées à celles de dermatologues humains. L’IA s’est avérée aussi compétente, voire plus performante. Cependant, il a été découvert ultérieurement que cette IA n’avait pas été formée sur des images de peaux noires, ce qui la rendait inadaptée à ce groupe. Nous commençons à réaliser l’importance de la qualité et de la diversité des données pour éviter les préjugés dans l’IA. Il n’y a rien d’enchanteur à cela ; nous devons agir avec extrême prudence. »

Une intelligence artificielle ressentant de l’empathie ?

De manière plutôt inattendue, Emmanuel Bibault avance, peut-être avec un soupçon de provocation, l’idée que l’intelligence artificielle pourrait éventuellement manifester une empathie envers les patients qui surpasserait celle de certains praticiens. Dans son ouvrage, il aborde le parcours de CHAT-GPT dans le domaine médical, où il a brillamment réussi l’USMLE, l’examen écrit de médecine aux États-Unis, démontrant des compétences d’expertise exceptionnelles. Ce modèle peut diagnostiquer près de trente maladies à partir de symptômes simples, souvent surpassant les médecins dans cette tâche. Tandis que les médecins atteignent en moyenne un taux de précision de 65 %, CHAT-GPT atteint régulièrement 85 %.

Ce qui accentue encore cette perspective saisissante, c’est une étude récente parue dans le Journal of the American Medical Association (JAMAL), qui évalue la capacité de CHAT-GPT à manifester une forme d’empathie, voire à simuler une telle empathie, au cours de consultations médicales virtuelles. Les résultats suggèrent que, dans ce domaine également, l’IA pourrait surpasser les médecins en établissant une connexion empathique avec les patients.

Interrogé sur l’existence de domaines où l’intelligence artificielle ne pourrait jamais remplacer l’humain, Emmanuel Bibault répond : « Toutes les activités de nature « manuelle », comme les soins prodigués au chevet du patient, les interactions humaines, etc., resteront hors de portée de l’IA pour le moment. En ce qui concerne les interventions chirurgicales, il est intéressant de noter que des recherches sont déjà en cours à Stanford pour permettre à une IA de reconnaître en temps réel les instruments chirurgicaux à partir de vidéos. Il est envisageable d’intégrer ces algorithmes aux robots chirurgicaux existants, actuellement télécommandés par des médecins humains. Ainsi, en associant le logiciel (l’IA) au matériel (les robots chirurgicaux), il est envisageable de concevoir des procédures entièrement automatisées pour des interventions relativement simples. »

Cependant, le domaine de l’IA n’est pas sans risques ni appréhensions. Emmanuel Bibault souligne : « L’IA apprend uniquement à partir de données. Si les données sont de qualité, un algorithme performant peut être créé. En revanche, si les données sont de mauvaise qualité ou incomplètes, l’algorithme ne sera pas fiable. Cela soulève des questions importantes concernant la protection et l’accès aux données. En Europe, le RGPD constitue une réglementation relativement stricte à cet égard. Certaines équipes estiment même qu’il pourrait être trop restrictif comparé aux réglementations américaines ou chinoises, ce qui pourrait potentiellement nous faire prendre du retard. »