L’IA va-t-elle remplacer les cascadeurs ?

L’IA va-t-elle remplacer les cascadeurs ?

14/09/2023 Non Par Guillaume Pruvost

Les lettres « IA » suscitent actuellement des préoccupations au sein de l’industrie cinématographique, notamment parmi les professionnels et les scénaristes en grève à Hollywood, qui redoutent d’être dépassés par les avancées de l’intelligence artificielle. Cependant, pour les cascadeurs, cette menace ne relève pas de la fiction, mais de la réalité concrète.

Dans le but de réduire les coûts, les studios ont depuis un certain temps recours à l’utilisation de silhouettes générées par ordinateur pour compléter l’arrière-plan de leurs scènes de combats. Cette pratique est déjà présente dans des productions telles que la série « Game of Thrones » ou les films de super-héros Marvel.

Des poursuites et des fusillades 100% virtuelles ?

Cependant, à mesure que l’IA se développe, de nouvelles méthodes émergent pour recréer des scènes d’action hautement complexes, comme des poursuites en voiture et des fusillades, sans avoir recours à des intervenants humains.

Cette évolution pose une menace sérieuse au métier de cascadeur, qui a toujours été un pilier essentiel de l’industrie cinématographique hollywoodienne, depuis les premiers jours des films muets jusqu’aux performances impressionnantes de Tom Cruise dans la franchise « Mission Impossible ».

Freddy Bouciegues, coordinateur de cascades, exprime sa préoccupation en ces termes : « La technologie progresse à une vitesse exponentielle. (…) Nous traversons actuellement une période profondément inquiétante », rapporte-t-il à l’AFP. Ayant récemment travaillé sur le sixième volet de la série « Terminator », ce professionnel expérimenté se retrouve confronté à une nouvelle vague technologique qui défie sa profession.

Dans l’ère actuelle, les studios requièrent souvent que certains cascadeurs et figurants se soumettent à des « scans corporels » lors des tournages, afin de créer des modèles en trois dimensions de leur apparence, avec parfois peu d’explications quant à l’usage futur de ces données.

Avec les avancées de l’intelligence artificielle, ces enregistrements peuvent être utilisés pour créer des « doubles numériques » d’une réalité saisissante pour ces professionnels, capables d’effectuer des mouvements et de délivrer des dialogues conformément aux instructions transmises à la machine.

Des avatars à la place des cascadeurs

Les craintes de M. Bouciegues portent sur la possibilité que ces avatars deviennent rapidement des substituts des cascadeurs de base, chargés de tâches mineures, comme les rôles de piétons évitant de justesse une course-poursuite.

Grâce aux effets spéciaux et à l’intelligence artificielle, les studios seront bientôt en mesure de les intégrer « ultérieurement », ce qui pourrait conduire au licenciement de milliers de professionnels. Cependant, selon Neill Blomkamp, réalisateur de « Gran Turismo », ce scénario, bien qu’apparemment perturbateur, ne fait que gratter la surface du problème.

Dans son adaptation cinématographique d’un jeu vidéo de course automobile, de véritables cascadeurs pilotent des voitures sur circuit. Seule une scène particulièrement dangereuse, impliquant la recréation d’un accident mortel, a été produite numériquement.

Néanmoins, dans un délai d’un an, l’intelligence artificielle pourrait être en mesure de simuler des collisions à haute vitesse, en se basant uniquement sur les directives d’un réalisateur, d’après M. Blomkamp. À ce stade, selon lui, « nous nous débarrassons des cascadeurs et des caméras, et nous pouvons éviter de nous rendre sur le circuit », résumant ainsi la situation en des termes radicaux.

Cela explique en partie pourquoi la grève paralysant Hollywood prend l’apparence d’une crise existentielle. Outre la revendication d’une meilleure répartition des revenus issus du streaming, l’établissement de garde-fous pour encadrer l’utilisation de l’IA demeure l’un des points cruciaux des négociations.

Une composante humaine encore essentielle dans le milieu

En juillet dernier, le syndicat des acteurs SAG-AFTRA avait déclaré son combat pour empêcher les studios de numériser les acteurs et d’utiliser leurs répliques numériques « à perpétuité, dans tous les projets qu’ils désirent », tout en ne les rémunérant que pour une simple journée de travail.

Les employeurs, quant à eux, prétendent avoir élaboré des directives claires concernant le consentement et la rémunération. Même si l’intelligence artificielle était capable de reproduire à la perfection des scènes de bataille, d’explosion ou d’accident, M. Bouciegues affirme que l’élément humain de son métier reste irremplaçable.

Il est convaincu que « le public peut toujours discerner » les effets spéciaux, ce qui a « un impact subconscient sur le spectateur ». Il met en avant la popularité de Tom Cruise, qui a insisté pour réaliser lui-même ses scènes d’action, accompagné de véritables cascadeurs dans des films tels que « Top Gun » ou « Mission Impossible ».

Le coordinateur affirme : « Je ne crois pas que ce métier disparaisse un jour. » Cependant, il prévoit que le champ d’action se réduira et se spécialisera davantage grâce à la combinaison du travail des cascadeurs avec les ajouts numériques par ordinateur, surtout pour les séquences les plus risquées.

Cette réalité suscite déjà de l’inquiétude chez de nombreux collègues en grève. Selon M. Bouciegues, le cascadeur moyen est un « mâle alpha », résolu à projeter une image de force. Cependant, il ajoute qu’il a personnellement discuté avec beaucoup d’entre eux, qui sont anxieux et appréhensifs face à l’évolution de la profession.