A l’heure du changement climatique, Internet est loin d’être durable

A l’heure du changement climatique, Internet est loin d’être durable

09/01/2020 Non Par Arnaud Lefebvre

Sur Internet, chaque site utilise de l’énergie. Dans un système économique mondial dépendant principalement des combustibles fossiles, cela signifie plus de pollution, écrit Kevin Lozano sur The New Republic.

Selon la société de conception web Wholegrain Digital, l’empreinte carbone de l’Internet, à savoir la quantité d’électricité nécessaire à son bon fonctionnement, équivaut à environ 0,24 gramme de carbone par page vue. Même les activités sur Internet les plus élémentaires entraînent des coûts époustouflants pour l’environnement. Une heure de diffusion sur Netflix par semaine équivaudrait à la production annuelle d’électricité de deux réfrigérateurs.

Sacrifices

Dans son petit appartement de la ville côtière espagnole d’El Masnou, à la périphérie de Barcelone, Kris de Decker gère un site internet nommé « Low-Tech », entièrement alimenté par un petit panneau solaire installé dans un coin du balcon. Ce type de site peut être une solution aux coûts environnementaux de l’Internet.

Cependant, les sites fonctionnant à l’énergie solaire présentent certains inconvénients. Une journée nuageuse peut provoquer leur déconnexion. Par ailleurs, la recherche sur Google donne la priorité aux sites web plus rapides et plus fiables. De tels sites peuvent donc être relégués aux marges de l’Internet grand public.

« Pour que l’Internet soit plus « vert », nous devrons tous faire des sacrifices. Nous devrons réaliser des ajustements si nous souhaitons avoir recours à un Internet écologiquement viable plutôt qu’à celui que nous connaissons aujourd’hui, exploité par de grandes sociétés de télécommunications orientées vers le profit », explique de Decker.

Internet : champ de bataille des générations futures

La consommation d’énergie d’Internet ne cesse d’augmenter. Cela se doit notamment au fait que nous sommes toujours en ligne, depuis notre réveil jusqu’à l’heure du coucher.

La manière dont Internet s’adapte aux pressions du réchauffement modifiera de nombreuses activités humaines telles que la finance, les publications en ligne, notre usage de la messagerie électronique ou encore le contrôle des avions. La question est de savoir si l’Internet du futur sera aussi fiable que celui d’aujourd’hui. Selon Kevin Lozano, il est fort probable que l’accès à internet fera partie des nombreuses ressources rares au sujet desquelles les générations futures se battront. Cette répartition inégale serait en outre susceptible de créer deux internets différents : un réseau pour les pauvres et un réseau pour les riches.

Internet est la plus grand machine à charbon de la planète

Internet est la plus grand machine à charbon de la planète. Sa consommation d’énergie équivaut à 10% de la demande mondiale d’électricité. Son impact climatique est en passe de s’aggraver car près de la moitié du monde n’est pas encore connectée. Cette population déconnectée, plus de trois milliards de personnes, souhaite cependant, elle aussi, diffuser des vidéos en streaming et ouvrir un compte Facebook.

D’ici 2030, avec la hausse du streaming, Internet rejettera plus de CO2 que n’importe quel pays, à l’exception de la Chine, de l’Inde et des Etats-Unis. D’autre part, avec le changement climatique, les coûts de refroidissement des centres de données du monde entier vont augmenter de façon exponentielle. La fréquence électromagnétique du Wi-Fi sera altérée par la hausse de l’intensité des rayons ultra-violets. Pendant les quinze prochaines années, les tubes et les câbles côtiers qui transmettent les données se noieront sous l’eau salée. Les matériaux qui soutiennent le Web, tels que les minéraux de terres rares, deviendront de plus en plus difficiles à trouver.

Un Internet plus respectueux de l’environnement

Pour affronter cette kyrielle de problèmes systémiques, il faudra créer un Internet plus respectueux de l’environnement. Outre Low-Tech, d’autres projets de conception de sites durables sont en cours. Pour leurs concepteurs, plusieurs principes fondamentaux doivent être respectés pour aboutir à un Internet durable. Ils prônent dans ce sens une suppression de la publicité sur le Web, un ralentissement de la croissance du streaming, un allègement des sites et la fin de la surveillance des entreprises..

« 90% d’une page internet constituée d’annonces nécessitent des serveurs qui consomment de l’électricité générée par la combustion de charbon », explique Chris Adams, concepteur de sites et activiste climatique à Berlin. Un site sans annonce et sans scripts de suivi économise davantage d’énergie et pollue moins. Selon Adams, la réduction mensuelle de dioxyde carbone d’un site équivaut à un vol entre New York et Chicago. En outre, avec la disparition des publicités et des scripts de suivi, moins de personnes vous surveillent et vous tracent lorsque vous consultez un site.

Toutefois, la suppression des publicités est une solution difficile car ces dernières génèrent des revenus pour les sites web. Selon Tim Frick, CEO de l’agence numérique verte Mightybytes, l’Internet généré par la publicité ne va pas disparaître de sitôt. Frick préconise une rationalisation du processus Internet en réduisant la bande passante avec des technologies publicitaires plus responsables et plus efficaces.

La compression des fichiers et la gestion des données peuvent devenir également plus efficaces. Toutefois, il sera très difficile de contenir le « tsunami de données » que des milliards d’utilisateurs supplémentaires déclencheront.

« Nous vivons dans un âge d’or des données bon marché, et les personnes ne commencent à économiser l’eau que lorsqu’elles pensent qu’il y a une limite sur la quantité qu’elles peuvent utiliser », ajoute Tom Greenwood, co-fondateur de Wholegrain Digital. Selon lui, il y aura une transition rapide loin de nos tendances d’utilisation actuelles à mesure que les données deviennent plus rares et plus chères.

Croissance des données

La diffusion en continu et la charge croissante de données pourrait être catastrophique, explique Mike Hazas, informaticien à l’Université de Lancaster au Royaume-Uni.

« La charge de données d’Internet deviendra encore plus lourde avec l’expansion du réseau sans fil 5G, la vidéo 4K et 8K, les jeux en nuage et la réalité virtuelle en streaming. Tout cela signifie plus de pollution . Au-delà de 2030, nous pourrions voir la consommation totale d’électricité d’Internet augmenter à plus de 50% de l’utilisation mondiale, ce qui contribuera à son tour au réchauffement climatique. »

Selon Paul Barford, un informaticien de l’Université du Wisconsin, Internet va devenir beaucoup moins fiable. Les pannes et autres impacts dépendront toutefois de la géographie et de la richesse d’un pays. Les inégalités financières vont définir l’avenir de l’accès à Internet. Les sociétés Internet géantes trouveront des moyens de durcir et de protéger leur infrastructure. Les individus plus riches, quant à eux, seront également en mesure de protéger leur mode de vie sur Internet, car ils dépendent de plus en plus d’une connexion permanente et des gadgets et objets connectés de la maison intelligente qui inondent le marché.

Ségrégation technologique

Selon Xiaowei Wang, géographe et chercheur sur Internet à l’Université de Californie à Berkeley, qui étudie l’utilisation d’Internet dans les régions rurales chinoises, les habitants des campagnes chinoises ont déjà accès à un Internet différent de leurs homologues urbains parce que les réalités matérielles sont radicalement différentes.

L’inconvénient de rendre l’Internet plus vert est que ceux qui n’ont pas d’argent pourraient ne pas avoir accès à une expérience Web qui n’est pas subventionnée par la publicité et la surveillance des entreprises et les pop-up. Si vous avez de l’argent, vous pourrez vous offrir plus de données, plus de bande passante et une connexion plus fiable. « Les riches se déplaceront librement dans les confortables jardins clos du Web », avance Lozano.

Certaines propositions ont été avancées telles que la promesse d’Amazon de créer un Internet distribué par satellite et celle de Microsoft de révolutionner les centres de données en stockant nos fichiers sur des brins d’ADN.

« Nous pensons que le changement climatique est lent, mais il est extrêmement rapide. Nous pensons que le changement technologique nécessaire pour l’éviter est rapide, mais malheureusement, il est trompeusement lent », tempère toutefois David Wallace-Wells, auteur de l’ouvrage « The Uninhabitable Earth ».

Une option plus réaliste serait de créer de nouveaux programmes d’infrastructure et d’une réglementation de l’industrie d’Internet. Actuellement, aux Etats-Unis, Bernie Sanders est le seul candidat à la présidentielle de la primaire démocrate de 2020 à reconnaître qu’Internet est essentiellement un service public qui sera très affecté par la crise climatique. Il propose de construire une infrastructure à large bande résiliente, abordable et étatique. Elizabeth Warren a également fait une série de propositions qui permettraient aux municipalités, en particulier dans les zones rurales, de construire leurs propres réseaux publics plutôt que de compter sur des sociétés de télécommunications privées et des fournisseurs de services Internet.

« L’Internet mondial se fracture »

Le changement climatique rendra l’accès à Internet encore plus inégal, explique Greta Byrum, membre du think tank New America Fondation. Selon elle, l’Internet mondial se fracture.

« Mais c’est aussi dans les zones marginales, où vivent les pauvres, que vous verrez l’innovation orienter l’infrastructure du net loin de la quête de profit de l’entreprise. Cela se produit déjà en Chine. La Chine a un énorme contrôle étatique sur Internet et des restrictions très strictes sur qui peut même mettre en place un site Web. La Chine rurale peut renverser cela, créant une sous-culture très anti-gouvernementale. Des endroits comme la Chine rurale offrent un exemple d’innovation indigène et d’un Internet plus gratuit et décentralisé. La solution peut venir d’un Internet peut-être plus lent et hétérogène, mais davantage axé sur la communauté, sur des principes d’équité et de résilience. »

« Nous devons tendre vers un Internet plus localisé. Un Internet détenu et exploité par les plus vulnérables d’entre-nous pourrait être susceptible de s’attaquer aux problèmes que l’Internet des couches sociales plus riches ne pourrait jamais résoudre. Le grand Internet homogène et consommateur d’aujourd’hui n’est pas viable. Et si ce réseau a une chance de survivre, il doit être perturbé », conclut Kevin Lozano.