Paroles d’anthropologues : « Le smartphone est devenu notre maison »

Paroles d’anthropologues : « Le smartphone est devenu notre maison »

11/05/2021 Non Par Arnaud Lefebvre

Une équipe d’anthropologues de l’University College de Londres (UCL) a passé plus d’un an à documenter les habitudes d’utilisation du smartphone au sein de communautés d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Sud.

De l’Irlande au Cameroun, les 11 anthropologues ont constaté que nos smartphones sont loin d’être de simples jouets triviaux. Dans leur étude « The Global Smartphone », les scientifiques montrent que les utilisateurs ressentent la même chose à propos de leur appareil qu’à l’égard de leur propre maison.

Les smartphones sont devenus autant un lieu dans lequel nous vivons qu’un appareil que nous utilisons pour offrir un « opportunisme perpétuel », indiquent les chercheurs.

« Le smartphone n’est plus seulement un appareil »

« Le smartphone n’est plus uniquement un dispositif que nous employons », explique Daniel Miller, le directeur de l’étude, dans le quotidien britannique The Guardian. Toutefois, une répercussion de ce phénomène sur le plan des relations humaines est qu’à tout moment, une personne avec qui nous nous trouvons peut s’en aller et « rentrer chez elle » sur son smartphone.

Selon le scientifique, ce phénomène conduit à la « mort de la proximité » lors d’une interaction en face-à-face.

Selon Daniel Miller, ce type de comportement et la frustration, la déception ou même l’offense qu’il est susceptible de provoquer, conduit à ce que l’on nomme la « mort de la proximité ». En d’autres termes, les personnes apprennent à vivre avec le risque que, même lorsqu’elles sont physiquement ensemble, elles peuvent être socialement, émotionnellement ou professionnellement seules.

Applications de messagerie

Les chercheurs estiment que la cause spécifique de cette transformation pourrait être les applications de messagerie telles que WhatsApp. Pour les scientifiques, ces applications constituent le « cœur du smartphone ».

Dans la plupart des régions du monde, pour de nombreux utilisateurs, ce type d’application représente désormais la chose la plus importante que le smartphone leur offre. Des membres d’une même famille peuvent avoir recours à ces applications pour prendre soin des seniors. Des parents peuvent partager des photos de leurs bébés. C’est aussi le moyen via lequel des migrants peuvent renouer avec leurs familles.

Maison de transport

Contrairement à de nombreux autres travaux, l’étude s’est concentrée sur les personnes âgées, celles qui ne se considèrent ni jeunes ni vieilles, expliquent les chercheurs.

Mettre l’accent sur les personnes âgées peut sembler étrange parce que nous sommes habitués à nous concentrer sur les jeunes en tant qu’utilisateurs naturels des smartphones. Cependant, se concentrer sur les personnes âgées a aidé à extraire l’étude de n’importe quelle niche démographique spécifique.De cette manière, ces appareils peuvent être considérés en tant que possession de l’humanité dans son ensemble.

Même avec cet objectif distinct, les chercheurs constatent que partout dans le monde, les smartphones constituent une nécessité de base.

Le smartphone est peut-être le premier objet à remettre en question la maison elle-même (et peut-être aussi le lieu de travail) sur le plan du temps éveillé que nous lui consacrons, expliquent les scientifiques.  Pour décrire cet effet du smartphone, ils utilisent le terme une « maison de transport ».

« Nous sommes toujours « chez nous » dans notre smartphone. Nous sommes devenus des escargots humains portant notre maison dans nos poches. »

Pas uniquement un refuge

Les chercheurs montrent également que cette « maison » peut être autre chose qu’un lieu de répit. Ils mettent en cause les communications professionnelles et les médias sociaux susceptibles d’empiéter sur notre retraite dans notre« maison de transport » .

« Le smartphone peut réduire l’expérience antérieure de la maison comme refuge. On peut désormais s’attendre à ce que les employés restent en contact avec leur travail, par exemple, même après avoir quitté le lieu de travail. Un enfant victime d’intimidation par d’autres élèves à l’école trouve maintenant peu ou pas de répit en rentrant chez lui. »

Mais Miller met en garde contre une vision trop négative du phénomène.

« Le smartphone nous aide à créer et à recréer une vaste gamme de comportements utiles, du rétablissement de la famille élargie à la création de nouveaux espaces pour les soins de santé et le débat politique. Ce n’est qu’en examinant les utilisations et les contextes extrêmement différents que nous pouvons pleinement comprendre les conséquences des smartphones sur la vie des personnes du monde entier. »