Les médias sociaux ont fait de nous des accros à la dopamine

Les médias sociaux ont fait de nous des accros à la dopamine

24/08/2021 Non Par Arnaud Lefebvre

Selon le Dr Anna Lembke, psychiatre chef de la Addiction Medicine Dual Diagnosis Clinic de l’Université de Stanford, nos smartphones nous ont transformés en accros à la dopamine.

Chaque fois que nous balayons des profils sur Tinder, que nous likons des publications sur Facebook ou que nous twittons, nous alimentons cette dépendance.

Dépendances comportementales

Experte en toxicomanies depuis plus de 25 ans, Anna Lembke est spécialisée dans le traitement des patients accros à pratiquement tout : à l’héroïne, au jeu, au sexe et aux jeux vidéo en passant par la dépendance au botox ou encore aux bains de glace.

Cette psychiatre de 53 ans est l’auteure d’un ouvrage influent sur l’épidémie de médicaments par ordonnance. Elle apparaît également dans le documentaire de Netflix « The Social Dilemma » où elle offre son opinion sur l’aspect addictif des réseaux sociaux.

Dans son nouveau livre « Dopamine Nation », Lembke affirme que nous sommes dorénavant tous dépendants à la technologie à un certain degré. Cela se doit en partie au smartphone qu’elle nomme « l’aiguille hypodermique des temps modernes ».

« Nous nous tournons vers lui pour trouver des aventures d’un soir, pour rechercher l’attention d’autrui, pour valider nos opinions ou pour nous distraire », explique-t-elle dans une interview accordée au quotidien britannique The Guardian.

Depuis le début de notre millénaire, nous assistons à une hausse significative des dépendances comportementales, précise Lembke. Chaque seconde de libre est consacrée à une nouvelle stimulation sur Tik Tok, sur Instagram, sur Tinder ou encore en visionnant de la pornographie, en jouant à des jeux d’argent ou en achetant en ligne.

« Nous constatons une hausse très importante de la quantité d’utilisateurs exposés à des dépendances mineures », explique Lembke.

« Nous sommes de moins en moins heureux »

Selon l’experte, cet état de fait a de sérieuses conséquences.

« Malgré le fait que nous ayons accès à des sources illimitées de plaisir, les données suggèrent que les personnes sont de moins en moins heureuses. Au cours des 30 dernières années, on a assisté à une hausse considérable des taux de dépression dans le monde. Par ailleurs, la population des pays à revenu élevé est devenue de plus en plus insatisfaite au cours des dix dernières années. Nous sommes constamment interrompus à cause d’une aventure numérique. Par conséquent, nous sommes de moins en moins aptes à nous concentrer sur des tâches pénibles pendant une longue période. Nous sommes également moins susceptibles d’entrer dans un flux créatif », déclare Lembke.

D’un point de vue général, la pandémie a stimulé l’addiction aux médias sociaux ainsi qu’aux autres vices technologiques, tout comme à l’alcool et aux substances illicites.

Toxicomanie

Selon Lembke, la toxicomanie à la technologie et aux réseaux sociaux ne se révèle être qu’un trouble du spectre. La psychiatre explique qu’il se n’agit pas de quelque chose d’aussi simple basé sur la dualité être toxicomane ou non toxicomane.

La toxicomanie requiert des soins cliniques lorsqu’elle interfère significativement avec la vie et le mode de fonctionnement d’une personne. Cependant, lorsqu’il s’agit d’une toxicomanie numérique, son influence est pernicieuse.

« On aboutit alors à des questions philosophiques au sujet la manière dont le téléphone affecte subtilement le fait d’être un bon parent, un bon conjoint ou un bon ami. Cette toxicomanie a un coût que nous ne reconnaissons pas pleinement car il est difficile de voir lorsque nous sommes assujettis à celle-ci. »

Face à ce type de toxicomanie, Lembke fournit une première solution qui consiste à laisser de l’espace dans notre cerveau pour permettre à nos pensées de nous submerger au lieu de rechercher une stimulation constante.

« Cette nouvelle forme d’ascèse est le chemin vers une vie convenable », avance-t-elle.

Dopamine

On pense généralement que la dopamine, produit chimique également dénommé « hormone du bien-être, nous procure du plaisir. Toutefois, en tant que neurotransmetteur de la récompense et du plaisir dans le cerveau, elle agit plutôt comme un moteur ou une motivation à faire des choses susceptibles de nous procurer du plaisir.

La dopamine est utilisée par les scientifiques pour mesurer la dépendance potentielle à tous types d’expériences. L’addiction à une chose se mesure au volume de dopamine libérée.

Nous sommes confrontés à une hausse de dopamine avant de faire une chose ou pendant sa réalisation. Mais, une fois cette période passée, nous vivons une descente de dopamine qui fait que nous voulons expérimenter cet état une autre fois.

L’identification de la dopamine remonte à 1957. Cependant, cette recherche du plaisir et du bien-être est ancrée dans notre cerveau depuis des lustres, explique la scientifique. 50% de la toxicomanie se doit à une prédisposition génétique. Les 50% autres proviennent de critères environnementaux tels que l’accès.

« Au cours des siècles, notre cerveau n’a pas beaucoup évolué. Cependant, l’accès aux choses addictives a quant à lui fortement évolué. Nos prédécesseurs s’efforçaient pour trouver un aliment savoureux. En ce qui nous concerne, nous pouvons trouver cette nourriture en un seul clic via une application. »

Lorsque nous nous gavons de choses agréables, un processus d’autorégulation a lieu dans notre cerveau. Il s’agit du mécanisme d’homéostasie. Cela signifie que notre cerveau compense cette recherche du plaisir en nous poussant de plus en plus vers le bas.

« La chose devient chaque fois moins agréable. Cela signifie que nous devenons finalement davantage dépendants à ces stimuli pour continuer à fonctionner correctement. »

La technologie nous gave à l’infini de dopamine

« Le monde numérique nous gave à l’infini », explique Lembke. « Cela a lieu à une échelle jamais atteinte auparavant. Aucune limite concrète ne nous oblige à faire une pause. Lorsqu’il s’agit d’une substance, vous êtes amené à manquer de revenus ou de cocaïne. Par contre, lorsqu’il s’agit d’une série sur Netflix, il n’y a pas de limite. Vous n’avez d’ailleurs souvent rien à faire : l’épisode suivant débute automatiquement sur votre écran. »

Outre le fait de compromettre notre capacité d’attention, notre quête obsessionnelle de gratification instantanée nous fait constamment vivre dans notre cerveau limbique, partie du cerveau qui traite les émotions.

« Nous vivons perpétuellement dans notre cerveau limbique plutôt que dans notre cortex préfrontal, partie du cerveau consacrée à la planification future et à la résolution de problèmes. Cette zone du cerveau est fondamentale pour le développement de la personnalité. »

Dorénavant, dans une situation complexe d’un point de vue social ou professionnel, nos compagnons numériques sont toujours présents pour nous permettre de fuir la pénibilité de la vie.

« Notre existence est très différente de la vie d’autrefois. Anciennement, nous devions tolérer davantage de détresse. Nous sommes maintenant soumis à une perte de capacité de retardement de la gratification, de résolution des problèmes et de gestion de la frustration et de la douleur sous de nombreuses formes. »

Solutions

Lembke offre quelques solutions et pistes pour vaincre notre toxicomanie à la technologie. Elle conseille de procéder à des périodes de jeûne de 24 heures ou 12 heures pendant lesquelles nous n’avons pas accès à nos dispositifs.

Selon elle, l’objectif de ces temps d’absence est de permettre la réinitialisation des voies du cerveau. Cela permet en outre d’appréhender la manière dont notre dépendance nous affecte.

« Le but n’est pas de bannir cette technologie éternellement. Il s’agit davantage de trouver la manière d’en profiter avec modération », explique-t-elle.

Dans ce sens, une période de temps uniquement consacrée à l’être est cruciale, précise la scientifique. Plusieurs études scientifiques ont démontré le rôle fondamental des réseaux mentaux au repos. Ces moments sont importants car les personnes expérimentent durant ceux-ci une synchronicité au rythme et à la respiration propres entre les différentes zones du cerveau.

La recherche du plaisir est saine et naturelle

Pour vaincre cette toxicomanie technologique, il existe plusieurs autres solutions telles que les cures de désintoxication numérique ou encore la pratique de la pleine conscience.

Toutefois, contrairement à la kyrielle de gourous spirituels, Lembke ne propose pas de solution miracle.

« Notre recherche du plaisir est saine et naturelle. Notre culture de consommation a créé en nous des attentes. Selon celle-ci, la vie se doit d’être divertissante. Mais ce n’est pas vraiment le cas. L’existence est une corvée. Je pense que si nous étions capables de l’admettre et de nous réconforter en faisant savoir à autrui qu’il n’est pas seul dans cette lutte quotidienne, nous serions plus heureux. »

La psychiatre explique en outre que la générosité des stimuli nous permet d’aboutir à l’amélioration instantanée de notre humeur. Les générations précédentes n’en étaient pas capables au même niveau.

« Nous pensons que nous sommes capables de contrôler pleinement nos moments de joie. En réalité, notre bonheur stimulé au goutte-à-goutte par la technologie est éphémère et souvent moins qu’heureux. Mon message principal est d’arrêter de poursuivre constamment le plaisir. »

Lembke est convaincue que nous sommes en mesure de vaincre nos dépendances numériques via l’adoption d’un état d’esprit plus monastique. La scientifique recommande de remplacer certains vices de poursuite du plaisir par des activités plus compliquées et douloureuses.

« Lorsque nous réalisons des choses compliquées telles que courir, prendre un bain froid, parler à quelqu’un d’inconnu, se consacrer à la lecture d’un livre de philosophie, plutôt que de recevoir un boost de dopamine au préalable, nous le ressentons par la suite. Se consacrer à des choses difficiles est l’une des meilleures manières d’avoir une existence valant la peine d’être vécue. En effet, le plaisir que nous éprouvons ensuite est plus durable », conclut-elle.